Suisse
19.09.17

​ La libération d’une victime de torture basque : La Suisse respecte-elle bien les standards internationaux ?

Genève, 21 septembre 2017 – En attendant d’être extradée vers son pays d’origine pour avoircollaboré avec le groupe armé Euskadi TaAskatasuna (ETA), une citoyenne espagnole a été détenue pendant un an etdemi dans une prison suisse. Mais elle a été libérée vendredi dernier, non pasparce qu’il a été reconnu qu’elle avait été torturée, mais parce qu’un tribunala jugé que sa peine avait été purgée[1].

Mme Nekane Txapartegi, mère d’une enfantde 7 ans, était détenue sur le sol suisse depuis avril 2016. Elle avait fuil’Espagne en 2007 car elle avait été condamnée à six ans et neuf mois de prison. Sa peine fut réduitede moitié en février 2017 par la Cour Nationale Espagnole suite à une modificationdu Code Pénal espagnol, diminuant les peines pour les crimes non-violents liésau terrorisme[2].

Lalibération de Mme Txapartegi est bien entendu une victoire, après des mois d’intenseplaidoyer par ses avocats, et la mobilisation de divers soutiens et des organisationsde la société civile dont l’OMCT. Mais cela n’exonère pour autant pas la Suisse,qui se doit de respecter lesstandards internationaux du procès équitable, ainsi que le traitement desdemandeurs d’asile et des survivants de la torture. Les autorités suisses avaienten effet décidé d’extrader Mme Txapartegi vers l’Espagne, en dépit d’accablantespreuves que ses aveux avaient été obtenus sous la torture.

« C’est évidemment une bonne nouvelle,»a déclaré Dick Marty, le Vice-Président de l’OMCT. « Mais nous ne pouvonspas espérer une réduction de peine et de prescriptions pour protéger lesauteurs présumés de crimes qui sont torturés ou les demandeurs d’asile. Il esttemps que tous les pays aient le courage de se battre pour les droits de tous,et conduisent des enquêtes scrupuleuses pour chaque allégation de torture – mêmecelles à l’encontre des démocraties traditionnelles. »

Conditions de détention en Suisse

En juin, l’OMCT a écrità la Commission Nationale pour la Prévention de la Torture pour faire part deson inquiétude quant au respect de l’intégrité physique et psychologique de MmeTxapartegi dans la prison de Zurich. La Suisse a en effet manqué à sonobligation de garantir le respect des droits et du bien-être de Mme Txapartegi,ayant été maintenue en détention dans des conditions très difficiles : sesallégations de torture, prononcées avant son emprisonnement, n’ont jamais faitl’objet d’une enquête rapide, approfondie, et indépendante, et ses besoins ontété ignorés par les autorités suisses.

Le Comité des Nations Unies contre laTorture a déclaré[3] que les survivantsde la torture ne devraient pas être détenus tant que leurs dossiersd’extradition sont en cours d’examen. En effet, des défis persistent : lessoins de santé dans les prisons sont inadaptés pour les victimes de torture,notamment en raison du syndrome de stress post-traumatique.

Le cas de Mme Txapartegi a mis en exergued’importantes lacunes dans le système juridique et institutionnel suisse.Celui-ci devrait mettre en place des procédures appropriées pour permettrel’identification des victimes de torture ou mauvais traitements, conformémentau Protocole d’Istanbul. Ce protocole reprend un ensemble de lignes directricesdes Nations Unies permettant d’enquêter efficacement sur la torture et autrespeines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et sa valeur devraitêtre reconnue en droit. Afin d’éviter de nouvelles situations similaires,l’OMCT appelle la Suisse à remédier immédiatement à ces lacunes juridiques.

Les autorités suisses devraient en outre assurerla réparation de Mme Txapartegi, pour le préjudice qu’elle a subi en détention.Cette réparation devrait contenir une aide psychosociale, ainsi que destraitements post-traumatiques, conformément aux normes internationalesrégissant les atteintes abusives au droit à la liberté personnelle et à laprotection des victimes de torture[4].

Finalement, l’OMCT appelle les autoritésespagnoles à rouvrir motu propriol’enquête sur la torture et les abus dont a fait l’objet Mme Txapartegilorsqu’elle était détenue au secret. Cette enquête doit tenir compte del’ensemble des éléments de preuve fournis au cours de la procédured’extradition, et doit être menée de manière impartiale, indépendante,approfondie et efficace.

De manière générale, les autoritésespagnoles devraient ouvrir un débat public sur la pratique de la torture aucours des dernières décennies, en rompant un tabou qui a déjà laissé desmilliers de victimes de torture sans protection ni réparation.

Pour plus d’informations, veuillez contacter :

Helena Solà (hs@omct.org, +41 22 809 49 39) /Lori Brumat (lb@omct.org, +41 22 809 4939)

[1] En vertu des articles 130.1(7) et 133.1 duCode pénal espagnol

[2] En application de l’article 579bis.4 duCode pénal espagnol, après sa modification en 2015

[3]Observations finales du CAT : Royaume-Uni, UN Doc. CAT/C/GBR/CO/5, 24 juin2013, §30 ; Observations finales du CAT : Finlande, UN Doc.CAT/C/FIN/CO/7, 20 janvier 2017, §13

[4] Article 9.5 du Pacte International sur lesDroits Civils et Politiques