Türkiye
30.11.15

Rencontre avec Yavuz, originaire de la Turquie : Un survivant de la torture se dévoue aux autres victimes dans son pays

Diyarbakir(Turquie), le 27 novembre 2015 – Il faudrait des centaines de pages pour décrire les terribles torturesqu’il a subies, mais Yavuz Binbay déclare avec fierté qu’il y a survécu. « J’aiappris de la torture que la vie est belle et qu’il faut la protéger, »ajoute-t-il avec son éternel sourire. « Après la pluie, le beautemps ».


Il a été suspendu pendant des heures par les poignets,les bras attachés dans le dos et ses muscles en souffrent encore aujourd’hui. Chacunede ses articulations reste endolorie par les heures passées enseveli nu sous laneige et les années à dormir sur le sol en ciment de sa cellule. Une fois, ilavait été battu si sauvagement qu’il avait été placé à la morgue. Lesnombreuses marques et cicatrices présentes sur son corps témoignent desjournées passées plongé dans une fosse septique, des multiples coups etbrûlures reçus, des circonstances au cours desquelles il avait failli mourir :accident de voiture ou chute dans une cage d’ascenseur provoquésintentionnellement.


Descendant d’une grande famille soufie d’originekurde dont la très forte influence a rayonné sur la Mésopotamie à partir du septièmesiècle jusqu’en 1914, Yavuz se sent investi d’une mission. Il s'est engagé trèstôt dans une organisation non violente qui militait en faveur de droitsculturels et politiques accrus pour son peuple. Emprisonné six ans sous ladictature militaire installée après le coup d'État de 1980, il est resté un ande plus en prison sous le régime civil. Pour le briser, tous se sont acharnéssur lui dans les plus terribles « laboratoires de la torture » queconnaisse la Turquie. La première fois, il avait 12 ans.

Très grièvement blessé après une quatrièmetentative d’assassinat en 1994, il est accueilli en tant réfugié à Genève. Pourtant,une fois rétabli, il n'a pu résister au désir d’aider ses compagnons quiavaient survécu et dont il ne connaissait que trop bien les besoins. En 1997,il est retourné en Turquie afin de créer une organisation pour les victimes detorture. La police y a rapidement mis fin et Yazuz a vu les menaces de mort semultiplier. Trois ans plus tard, il était de retour dans son pays natal qui leconsidère toujours comme un « ennemi » et où, depuis quatredécennies, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et l’armée se livrent àune bataille sans merci sur l’attribution de droits politiques et culturelsaccrus aux Kurdes.


C’est au sud-est du pays, dans le contextepolitique fortement polarisé de Diyarbakir, l’épicentre de l’insurrection, queYavuz, avec l'appui solide du Gouvernement suisse, est parvenu à créer SOHRAM,un centre œcuménique de réhabilitation pour les victimes de la torture. Bienqu’elle ait à maintes reprises subi des attaques et des vols d’ordinateurs, l'organisationa apporté au cours des 15 dernières années une aide psychologique à quelque2 800 adultes et enfants victimes de la torture. Yavuz aimerait pouvoir aiderd’avantage, étant donné l’ampleur des demandes de réhabilitation des victimesde torture et le manque d’appui international.


Ingénieur de formation, Yavuz s’est spécialisé enpsychothérapie afin de mieux être à l’écoute des survivants de la torture et delui-même aussi. Outre leurs cicatrices physiques, la plupart des personnes quiont survécu aux tortures sont confrontées à une difficulté supplémentaire :retrouver la confiance dans le monde qui les entoure et, avant tout, eneux-mêmes, car l’objectif principal des tortionnaires est de briser par la peuret la douleur la personnalité de leurs victimes.


« La première chose que je leur dis est :" C’est fini ; vous êtes sauvés," » explique Yavuz. « Les victimes de torture ont besoin dequelqu'un qui les respecte, qui les comprennent. Il faut leur offrir del'empathie, de la solidarité. Les personnes qui ont été torturées pour desraisons politiques ont également besoin de savoir que quelqu’un agit en faveurde leur peuple. »


La guerre dans la République arabe syrienne apoussé dans la Turquie voisine 1,7 million de réfugiés et de demandeurs d’asilesyriens, dont la moitié sont des enfants. SOHRAM a ainsi commencé à leur apporterune aide d'urgence et une assistance éducative afin de promouvoir la toléranceet le dialogue entre les religions.


Âgé de57 ans, Yavuz ne voit pas son activité ralentir dans un proche avenir. Il notequ'au cours des quatre mois écoulés entre le 22 juillet et le 20 septembre2015, le Gouvernement a exécuté, selon le ministère de l’Intérieur turc, 1 964« terroristes ». D’après la presse, quelque 8 000 personnes,dont un quart de mineurs, se trouvaient en garde à vue dans le sud-est de laTurquie, tandis que 4 500 autres avaient été condamnées et incarcérées.


« Ily a de fortes chances que ces personnes soient torturées, » dit Yavuz.


Endépit de l’exceptionnelle résistance dont il a fait preuve, il n’est passurprenant que Yavuz ait perdu toute confiance en l’État turc. Il vientrégulièrement passer du temps à Genève pour voir son épouse et ses enfants, lafamille ayant été naturalisée suisse depuis 2009.


« J’aiconfiance en l’État suisse car il ne me considère pas comme un ennemi, bien aucontraire, il m’écoute. Ce n’est qu’ici, en Suisse, que je comprends véritablementce que signifie être citoyen, » explique Yavuz.


-- ParLori Brumat à Genève, traduction de Nicole Choisi.


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