Tadjikistan
03.12.15

Rencontre avec Nigina Bakhrieva : Avocate oeuvrant pour un système légal ne laissant aucune place à la torture


3 décembre, Douchanbé (Tadjikistan) – Nigina Bakhrieva a héritéde ses parents un sens viscéral de la justice, suivant l’exemple de son père,procureur. Elle défend vigoureusement l’État de droit au Tadjikistan.

« C’est ce que j’aiappris toute enfant, » déclare-t-elle. « Je ne peux rester indifférente devant lesviolations des droits de l’homme, il me faut agir.»

Et sa carrière n’aurait puse dérouler de manière plus fatidique. Nigina a en effet commencéses études de droit au Tadjikistan, alors que le pays sombrait dans la guerrecivile après son accession à l’indépendance. Elle a obtenu son diplôme cinq ansplus tard, en 1997, à la fin d’un conflit dévastateur dont le bilan s’élevait àprès de 100 000 morts et à 1,2 million de personnes déplacées.

Après avoir enseigné le droità l’université d’État tadjike, elle est devenue consultante spécialisée dans lerenforcement des capacités pour diverses organisations. Elle s’est rapidement intéressée aux droits de l’homme eta travaillé au Bureau d'appui des Nations Unies pour la consolidation de lapaix au Tadjikistan où elle a eu pour tâche de vérifier la conformité de lalégislation nationale aux normes internationales en matière des droits de l'homme.

Nigina était une jeuneavocate lorsque, en sa qualité de fondatrice du Bureau international tadjikpour les droits de l’homme et l’État de droit, elle a aidé à plaider avecsuccès la toute première affaire de violation des droits de l’homme duTadjikistan devant le Comité des Nations Unies pour les droits de l’Homme(l’équivalent d’une cour des droits de l’homme), une première historique. Ses actions en faveur de l’abolition de la peine de mortdans son pays ont conduit à l'adoption d’un moratoire en 2004.

Cet enrichissant terrainde formation a fourni à l'ambitieuse avocate une série d’outils cruciaux pour contribuerà la transformation de son pays, ancienne république soviétique, en un État dedroit. En 2009, elle a créé Nota Bene, qui mène la Coalition contre la torture composée demilitants et de 17 importantes organisations de défense des droits de l'hommeau Tadjikistan.

Une laborieuse transition vers la modernité

Dans les premiers temps,les efforts déployés semblaient porter leurs fruits : au début de l’année 2014, le Tadjikistan s’était engagé àmettre en œuvre les normes internationales en matière des droits de l'homme, endroit et en fait. Le Gouvernement a toutefois récemment limitéle champ d'intervention des avocats et des organisations qui œuvrent en faveurdu respect des droits fondamentaux dans le pays. Les organisations non gouvernementales doivent désormaisdéclarer tous les financements reçus de l’étranger. Leur mise sous tutelle du ministère de la Justice et lesrestrictions imposées à l’accès aux avocats a de surcroît réduit leurindépendance.

« Cette situation est préoccupante dèslors qu’il est pratiquement impossible de trouver des avocats au Tadjikistanprêts à traiter des affaires de torture par crainte des poursuitespénales », s'est inquiétée l'OMCT dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme le 30 novembre.

Nigina est l’une des raresprofessionnels du droit qui n’ait pas renoncé à lutter contre les pratiquesgénéralisées de la torture et autres formes d’exaction, notamment dans l’armée.Elle compte parmi les acteurs majeurs qui militent pour que les autoritésinstaurent un véritable État de droit. Cette responsabilitéest une charge lourde dont les répercussions se font évidemment sentir.

« C’est un travaildifficile, » dit elle. « Nous revivons à chaque foisavec les victimes ce qu'elles ont subi, c’est horrible. »

Pour que les choseschangent, il faut par conséquent que le système fonctionne et que l'ensembledes acteurs jouent leurs rôles respectifs en suivant chacune des étapes duprocessus : les particuliers doivent déposer plainte lorsqu’ils subissent des actes detorture ou des mauvais traitements ; le Gouvernement doit à cet égardappliquer une politique de tolérance zéro ; le Ministère public doitentendre de toutes les plaintes qui lui sont présentées en diligentant desenquêtes réellement approfondies ; les tribunaux doivent sanctionner tousles coupables, pas uniquement les auteurs directs, mais également leurhiérarchie qui a failli à son obligation d’empêcher les faits incriminés ;les peines d’emprisonnement doivent être proportionnelles à la gravité desactes commis ; et, pour finir, les autorités gouvernementales doivent indemnisertoutes les victimes.

Lorsque toutes les parties de l'appareil judiciaire seront opérationnelles,la torture cessera d'être la norme pour devenir l’exception au Tadjikistan. Tel est l’objectif de lalutte que Nigina continue de mener en silence.

-- Par Lori Brumat à Genève, traduction de Nicole Choisi.

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