Ghana
30.08.23

Afrique : Des milliers de migrants privés de justice pour des disparitions forcées

Chaque année, des milliers de migrants en Afrique disparaissent au cours de leur voyage sans qu'aucune information ou enquête ne soit menée pour les retrouver par les gouvernements de leur pays d'origine © Shutterstock

Genève, 30 août 2023 - L'Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) a soumis un mémoire d'amicus curiae à la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) sur le cas d'un migrant ghanéen qui a disparu en 2005 dans le contexte de la migration mondiale.

L'amicus est une intervention dans l'affaire Isaac Mensah contre l'État du Ghana. Peter Mensah, le père du plaignant, est un migrant ghanéen qui a disparu en juillet 2005 avec 67 autres personnes alors qu'ils traversaient la Gambie en direction de l'Europe. Selon deux anciens membres de l'escadron de la mort de l'ancien président de la République Yahya Jammeh, connus sous le nom de "Junglers", ils ont été accusés d'être des mercenaires et auraient été exécutés sur ordre de l'ancien président Jammeh. Un seul des migrants a survécu. À ce jour, le sort de Peter Mensah reste inconnu et les membres de sa famille ne savent toujours pas ce qu'il est devenu, bien qu'ils continuent d'essayer de le localiser. Leurs tentatives pour connaître la vérité auprès des autorités ghanéennes sont restées vaines. Le gouvernement ghanéen n'a pas répondu à leur demande de documents relatifs à sa disparition forcée et n'a fourni aucune information sur le lieu où il se trouve ou sur les efforts déployés par le Ghana pour découvrir la vérité. Les autorités n'ont pas non plus mené d'enquête véritable. Elles n'ont pas fait preuve de la diligence requise pour localiser Peter Mensah et traduire en justice les responsables de sa disparition forcée.

Le niveau d'angoisse et de souffrance infligé aux membres de la famille a été considéré à plusieurs reprises par la communauté médicale, psychologique et juridique comme suffisamment grave pour atteindre le seuil de la définition de la torture

Dans l'amicus, l'OMCT a fait valoir que le cas d'Isaac Mensah est illustratif des milliers de migrants en Afrique qui disparaissent chaque année au cours de leur voyage sans qu'aucune information ou enquête ne soit menée pour les retrouver par les gouvernements de leur pays d'origine. Le long des routes du Sahara et de la Méditerranée centrale, les risques ont augmenté ces dernières années, rendant les migrants plus vulnérables aux disparitions forcées. Les politiques de sécurité et d'immigration adoptées par certains pays, dont la Tunisie, l'Algérie, la Libye et le Maroc, la militarisation des frontières et la criminalisation de la migration irrégulière au Niger, au Sénégal et au Burkina Faso exposent les migrants à des risques accrus.

Sur cette base, l'OMCT a demandé à la Cour de considérer la disparition forcée comme un acte de torture à l'encontre des victimes et de leurs familles. « Le niveau d'angoisse et de souffrance infligé aux membres de la famille a été considéré à plusieurs reprises par la communauté médicale, psychologique et juridique comme suffisamment grave pour atteindre le seuil de la définition de la torture. »

En vertu du droit international des droits humains, les familles des personnes disparues ont le droit de connaître la vérité. Les droits des migrants, en tant que groupe vulnérable, sont garantis par de nombreuses normes juridiques, inscrites dans le droit international des droits humains et des migrations ainsi que dans des conventions spécifiques.

Par cet amicus, l'OMCT espère que la Cour de justice de la CEDEAO prendra une décision invitant non seulement le Ghana mais aussi tous les Etats africains à prendre toutes les mesures nécessaires pour mener des enquêtes rapides sur les nombreuses allégations de disparitions de migrants dans le désert, aux frontières, dans les lieux de détention et à tenir leurs familles informées des recherches. Ainsi, les migrants victimes de disparition forcée et leurs familles pourront obtenir réparation et une indemnisation adéquate, y compris les moyens nécessaires à une réadaptation aussi complète que possible. Si les victimes décèdent à la suite d'un acte de disparition forcée, leurs ayants droit peuvent également avoir droit à une indemnisation.