République démocratique du Congo
24.03.25
Déclarations

RDC: Évasions violentes dans les prisons en RDC, des risques supplémentaires pour les femmes, les victimes, témoins et défenseur-es des droits humains alors que le conflit armé s’enlise

24 mars 2024. Alors que l’Examen périodique universel (EPU) sur la République démocratique du Congo (RDC) est en cours d’adoption par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, l’OMCT et d' autres organisations alertent sur les violences sexuelles faites aux femmes dans le cadre des évasions massives des prisons, notamment dans plusieurs villes de l’est du pays, en proie au conflit armé. Ils dénoncent également les menaces et représailles exercées par des criminels de guerre récemment évadés contre les victimes ayant témoigné dans le cadre de procédures judiciaires à leur encontre, ainsi que contre les défenseur-ses des droits humains qui les ont accompagnées.

Avec l’arrivée du Mouvement du 23 Mars (M23) au Nord et au Sud-Kivu dès fin janvier 2025, des milliers de prisonniers se sont échappés de la prison de Muzenze à Goma au Nord-Kivu, mais aussi à Bukavu, Uvira et Kalehe, au Sud-Kivu, et à Kalemie dans la province du Tanganyika.

Pire encore, à Goma, des centaines de femmes ont été violées par les détenus qui étaient en train de s’évader. C’est une mutinerie de prisonniers qui aurait causé l’évasion massive, alors que le M23 arrivait dans la ville et que les gardiens de prison avaient fui. Les détenus ont ainsi forcé les portes du pavillon des détenues femmes, entraînant le viol de plusieurs centaines de femmes, qui ont par la suite péri dans le feu qui s’était déclenché dans la prison.

Il devient de plus en plus évident que cette récente attaque n'était pas un acte de violence isolé, mais qu'elle s'inscrit dans un schéma profondément ancré de violence sexuelle utilisée comme arme de guerre. Dans des situations de conflit comme en RDC, le viol est systématiquement utilisé pour affirmer sa domination, semer la peur et briser les communautés. L'agression de ces femmes, qui étaient déjà dans une situation d'extrême vulnérabilité, illustre les graves risques auxquels sont confrontées les détenues lorsque la sécurité s'effondre.

L'incapacité à protéger les détenues en temps de crise reflète une négligence systémique plus large qui doit être traitée immédiatement. Les prisons, qui devraient offrir un environnement contrôlé et sécurisé, ne doivent pas devenir des lieux de victimisation supplémentaire. Assurer la sécurité et la dignité des femmes détenues n'est pas seulement une obligation légale, c'est un droit humain fondamental qui doit être appliqué.

Il convient de noter que, dans la majorité des cas des évasions massives récentes qui se sont produites à l’est du pays, les détenus étaient en détention préventive prolongée, et il s’agissait à la fois de civils, de militaires et de membres de groupes armés. Dans la plupart des cas, ce sont les autorités pénitentiaires congolaises qui ont ouvert les portes des cellules des détenus avant de fuir les prisons. Dans certains cas, ce sont les détenus eux-mêmes qui ont réussi à ouvrir leur cellule de l’intérieur pour s’échapper.

Ces évasions font courir des risques importants pour la sécurité des victimes et des témoins des crimes commis par ces détenus. Victimes et témoins risquent de subir des représailles par ces détenus en liberté, et en toute impunité, compte-tenu du contexte de vide sécuritaire dans les zones nouvellement sous contrôle du M23 ou de faiblesse de l’autorité de l’État dans d’autres zones. À titre d’exemple, le chef milicien Donat Kwengwa Omari, condamné pour crimes contre l’humanité en novembre 2024 par la justice militaire du Sud-Kivu, s’est évadé de la prison centrale de Bukavu et a regagné son ancienne zone d’influence dans le territoire de Shabunda. Il a repris le commandement de son groupe, désormais rallié au mouvement Wazalendo dans la lutte contre le M23, et mobilise ses ressources militaires pour traquer et intimider ceux et celles qui ont témoigné contre lui. Des représailles violentes ont déjà visé certain·es défenseur·ses des droits humains, tandis que les victimes, menacées, sont contraintes de se déplacer pour échapper aux violences. De plus, avec le retrait de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) de la province du Sud-Kivu et de la province du Tanganyika, la protection des civils et la sécurité des défenseur·es ne sont plus assurées par la Mission et demeurent aux mains des autorités congolaises, dont les moyens sont limités ou menacés avec l’avancée du M23.

La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseur-ses des droits humains a récemment alerté sur les menaces reçues par les défenseur-ses des droits humains en représailles de leurs activités de soutien aux victimes et témoins de condamnés pour crimes graves.

Le personnel pénitentiaire et judiciaire est également également visé par des risques de représailles émanant des détenus et des membres de groupes armés contre qui des procédures judiciaires avaient été ouvertes.

Par ailleurs, la plupart de dossiers judiciaires ont été détruits dans le saccage des installations par les détenus en train de s’évader. Dans de rares cas, des dossiers avaient été mis dans des coffres forts qui n’ont pas pu être forcés.

Contexte

Si le contexte de conflit armé semble avoir favorisé ces évasions récentes, cela s’inscrit toutefois dans une problématique plus générale et structurelle des prisons en RDC.

La surpopulation carcérale, les mauvaises conditions de détention des prisons (hygiène, accès à la nourriture, et aux soins, et la violence qui y règne) en RDC constituent un risque pour la santé mentale et physique des détenu-es.

Pour rappel, en septembre 2024, à Kinshasa, lors d’une évasion massive de détenus, des centaines de femmes détenues ont été violées par les prisonniers et des centaines de détenus qui tentaient de s’évader tués par balle par les forces de défense et de sécurité. Les installations pénitentiaires ont été saccagées, et les stocks de nourriture et de médicaments ont été pillé. En janvier 2020, à Lubumbashi, ce sont 50 femmes détenues qui avaient été violées pendant deux jours au cours d’émeutes dans la prison de la Kasapa.

Recommandations:

A l’occasion de l’adoption de l’EPU sur la RDC par le Conseil des Droits de l’Homme durant sa 58ème session, nos organisations alertent sur les violences sexuelles et basées sur le genre dans le cadre des évasions massives de prison en RDC, ainsi que sur les conditions générales de détention dans le pays.

Nos organisations demandent à l’Etat congolais de mettre en œuvre au plus vite les recommandations faites dans le cadre de l’EPU sur l’amélioration des conditions de détention.

En outre, nos organisations demandent à l’État congolais de :

  • Améliorer les conditions de détention, notamment en réduisant les détentions préventives et les délais de traitement des affaires ;
  • Assurer la sécurité des femmes détenues dont les cellules sont à proximité de celles de hommes et fournir une assistance psycho-sociale et médicale aux femmes violées ;
  • Diligenter des enquêtes sur les évasions de prison ;
  • Permettre en tout temps l’accès des prisons au Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme (BCNUDH) dans le cadre de son mandat de monitoring des droits humains ;
  • Accélérer la mise en place d’un mécanisme de prévention de la torture ;
  • Garantir la protection des défenseur·ses des droits humains, des victimes et des témoins de crimes commis par des détenus en fuite, y compris dans les zones sous contrôle des FARDC et de leurs alliés, en prenant des mesures concrètes pour prévenir les représailles et assurer leur sécurité;
  • Assurer la sécurité des prisons et protéger les droits des détenus dans les zones sous son contrôle.

Et aux Nations Unies, y compris la Mission d’établissement des faits du haut-Commissariat aux droits de l’Homme de:

  • Diligenter des enquêtes sur les cas de violences sexuelles et basées sur le genre commises dans le cadre des évasions de prisons, dans le cadre du conflit ;
  • Renforcer le suivi et la documentation des menaces, représailles et violences commises par d’anciens détenus en fuite, et plaider pour des mesures de protection adaptées aux victimes, témoins et défenseur-ses des droits humains.

A la Communauté internationale de :

  • Soutenir la mise en place d’un mécanisme d’assistance d’urgence à destination des défenseur·ses des droits humains capable de répondre à leurs besoins vitaux sur le court terme et à faciliter leur délocalisation temporaire;
  • Soutenir la mise en place de mécanismes de protection des victimes et témoins;
  • Soutenir les efforts visant à apporter un soutien d’urgence aux femmes victimes de violences sexuelles et basées sur le genre dans le cadre des évasions.

Aux partenaires de la RDC :

  • Soutenir la digitalisation des dossiers judiciaires ;
  • Dans le cadre de l’assistance technique fournie, intensifier l’appui aux renforcement de capacités en droits humains aux détenu-es et autorités pénitentiaires ;
  • Renforcer le rôle et l’intervention de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) dans le monitoring des conditions de détention en prison et le reporting sur les prisons.

Signataires :

  1. Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture en RDC (ACAT RDC)
  2. Agir ensemble pour les droits humains (AEDH)
  3. Association africaine de défense des droits de l’Homme (ASADHO)
  4. Catalan Association for Peace (ACPAU)
  5. Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH)
  6. Fédération Internationale des ACAT
  7. Groupe Lotus
  8. Ligue des Electeurs
  9. Organisation mondiale contre la Torture (OMCT)
  10. Redress
  11. TRIAL International
  12. Women’s Initiatives for Gender Justice