14.08.24
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Régime d’abus : La torture policière dans la Russie de Poutine

Aram Arustamyan, l'un des quatre survivants de la torture systématiquement torturés par la police d'Anapa ©DR

Cet article fait partie de l'initiative multimédia Voices for Human Dignity du Consortium United Against Torture. Cette initiative célèbre le 40e anniversaire de la Convention contre la torture (1984-2024) en faisant entendre la voix des victimes de torture, des experts et des militants.

Le 24 décembre 2015, le lendemain de son 21e anniversaire, Artem Ponomarchuk n’est pas rentré de son travail.

Artem travaillait dans un entrepôt à Anapa, une ville de villégiature russe située sur la mer Noire. Une destination idyllique pour les familles en vacances, elle est aussi l’une des régions les plus violentes et les plus corrompues de Russie.

Artem avait été arrêté par la fameuse police d’Anapa et emmené au département des enquêtes criminelles. Un mois plus tôt, on avait volé des cigarettes lors d’une attaque à main armée. Incapable d’attraper les vrais criminels, la police d’Anapa a décidé de faire porter le chapeau à Artem et à trois de ses amis de l’entrepôt.

Détenus sans inculpation ni accès à un avocat, les quatre hommes ont été systématiquement torturés alors qu’ils refusaient d’avouer un crime pour lequel ils avaient tous un alibi.

« Ils m’ont emmené dans la pièce voisine, m’ont frappé les jambes à nouveau, et je suis tombé à nouveau », a déclaré Artem pendant une interview tournée par Crew Against Torture, l’une des plus anciennes et dernières organisations de défense des droits humains toujours active dans la Russie autoritaire de Vladimir Poutine.

« Ils m’ont attaché les jambes avec du scotch. Deux d’entre eux m’ont tenu pour me mettre un masque à gaz, et quelqu’un d’autre m’a tenu les jambes. ‘Allez-vous avouer ou non ?’ Ils ont continué à faire pression sur ma colonne vertébrale et à me frapper les jambes. Ils ont vu que je n’avouais pas. Ils ont commencé à enfoncer quelque chose de métallique dans mes chaussettes. J’ai compris qu’il s’agissait de pinces [électriques]. »

L’article 1 de la Convention des Nations Unies contre la torture, dont on célèbre cette année le 40e anniversaire et que la Russie a ratifiée en 1987, stipule ce qui suit : « Aux fins de la présente Convention, le terme ‘torture’ désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux […]. »

Si tout le monde s'était tu, combien de vies auraient-ils détruites au fil des années ?

Dans la Russie de Poutine, la torture est tellement systématique que la police lui donne des surnoms, comme les postures de yoga.

Amnesty International documente des méthodes de torture (telles que l’éléphant et l’hirondelle) en Russie depuis les années 1990. Crew Against Torture, membre du Conseil international de réhabilitation des victimes de tortures (IRCT) et de l’OMCT, a produit une série de vidéos de sensibilisation intitulée ‘Russian Yoga School’ (École russe de yoga) qui présente les différentes méthodes de torture.

La police d’Anapa a utilisé un grand nombre de ces méthodes sur Artem et sur ses trois amis. Crew Against Torture a documenté l’affaire et a fourni aux hommes et à leurs familles des services de réadaptation et une assistance pour porter plainte. La police a notamment violé certains des hommes, une forme de torture systématique utilisée en Russie pour faire chanter les gens.

Neuf ans après avoir été torturé pour leur faire avouer un crime qu’ils n’auraient pas pu commettre, les quatre hommes attendent toujours leur procès. Aucun des policiers qui les ont torturés n’a fait l’objet de sanctions pénales. Cependant, le courage de ces hommes d’en parler et la persévérance des avocats et des médecins de Crew Against Torture ont permis de réaliser quelque chose que beaucoup à Anapa pensaient impossible.

« Je crois comprendre qu’ils opéraient une chaîne de production : la police a une affaire à régler, elle trouve quelqu’un et entame le processus d’incarcération, a déclaré Aram Arustamyan, l’un des quatre hommes qui ont survécu à la torture. Mais depuis que notre affaire est connue, notre avocat nous dit qu’il n’entend plus parler de telles situations dans la ville d’Anapa. Il s’avère que nous avons réussi à arrêter cette chaîne de production […] Cela me rassure de savoir que, peut-être, nous avons sauvé beaucoup de vies. Car si tout le monde s’était tu, combien de vies auraient-ils détruites au fil des ans, combien d’innocents auraient-ils envoyés en prison ? »

Pour en savoir plus et pour soutenir le travail de Crew Against Torture en Russie, veuillez consulter ce site : www.pytkam.net/en.

Le Consortium United Against Torture est un projet financé par l’Union européenne qui met en commun les forces et l’expertise de six organisations internationales de lutte contre la torture (IRCT, OMCT, Redress, Omega Research Foundation) en partenariat avec plus de 200 organisations de la société civile et d’autres partenaires dans plus de 100 pays, afin de renforcer et d’étendre la prévention de la torture, la protection, la réadaptation et les litiges stratégiques.