Être Femme et défenseure des droits humains en Côte d’Ivoire

Les 16 et 17 juillet 2024, la Côte d’Ivoire a pour la première fois été examinée par le Comité contre la Torture des Nations Unies (CAT) depuis la ratification de sa convention ; il y a presque trente ans. Pedan Marthe Coulibaly, coordinatrice nationale de la Coalition Ivoirienne des Défenseurs des Droits Humains (CIDDH) qui est partenaire du réseau SOS-Torture de l’OMCT, a représenté la société civile à cet examen et partage avec nous comment sa participation aux travaux du CAT contribuera à améliorer la défense des droits humains, particulièrement des femmes, dans son pays.
Qu'est-ce qui vous a amené à vous engager dans les droits humains et la prévention de la torture ?
Tout est parti du constat de certaines violations des droits humains dans mon pays, notamment des droits de la femme. Je suis l'actuelle coordinatrice nationale de la Coalition Ivoirienne des Défenseurs des Droits Humains, et qui parle de torture et traitements inhumains ou dégradants, parle également d'agressions physiques, d'agression morale des traumatismes à l'égard des défenseurs des droits humains. D'où notre engagement aussi sur la protection des défenseurs des droits humains dans le cadre du partenariat avec l’OMCT.
Avez-vous rencontré des difficultés dans votre engagement et comment les avez-vous surmontées ?
Les défis sont énormes et je pense que pour pouvoir les surmonter, il faut d'abord une passion pour la défense des droits humains.
À l'absence de ressources financières s'ajoute le fait que, parfois, bien que nos plaidoyers auprès des autorités gouvernementales soient entendus, ils ne donnent pas lieu à des actions immédiates. Cependant, il est crucial de persévérer et de continuer le plaidoyer. Heureusement, nous bénéficions du soutien de partenaires qui croient en nous et nous accompagnent, tels que l'Organisation Mondiale Contre la Torture et d'autres organisations internationales, qui sont des partenaires techniques et financiers.
De plus, travailler en tant que femme dans la protection des droits humains en Côte d’Ivoire comporte des difficultés liées aux pesanteurs culturelles, où le leadership féminin peut être perçu comme inhabituel. Parfois, les femmes très engagées sont encore qualifiées de « femme garçon », et une femme non soutenue dans ses actions de plaidoyer peut avoir un impact réduit, particulièrement au niveau des communautés locales.
Dans quels secteurs de la société les défenseurs des droits humains sont-ils les plus exposés ?
Les activistes des droits LGBTI, ainsi que ceux qui défendent des causes liées à la gouvernance, la corruption, ou les femmes engagées contre l'excision et le harcèlement sexuel, sont exposés à des risques importants. Ils courent notamment des dangers dans les zones où la sensibilisation aux enjeux comme l'excision est encore insuffisante. Nous avons documenté un cas où une défenseure ayant publié un rapport sur le harcèlement sexuel a reçu des appels anonymes menaçants après sa diffusion. Nous avons dû lui conseiller de limiter ses déplacements et mettre en place des mesures de sécurité physique et numérique pour elle et les membres de son organisation.
En 2025, la Côte d'Ivoire aura sa prochaine élection présidentielle. Redoutez-vous les risques de menaces contre les défenseurs des droits humains ?
Le 12 juin, le Président de la République de Côte d’Ivoire a pris une ordonnance relative à la société civile. Les dispositions de cette ordonnance retreignent la liberté d'association, d'expression et de manifestation. Cette ordonnance prévoit la dissolution de toute organisation qui provoquerait des troubles ou diffuserait des accusations contre les autorités et nous redoutons la dissolution de certaines organisations de la société civile et des arrestations si les élections de 2025 provoquent des contestations.
En juin, vous avez lancé un mouvement des femmes défenseures des droits humains d'Afrique de l'Ouest, quelle est l’importance de cette nouvelle structure ?
Ce mouvement a été lancé pour protéger les femmes défenseures et les groupes marginalisés en Afrique de l’Ouest, une région marquée par le terrorisme et les coups d'État. Dans cet environnement peu sûr pour les défenseurs des droits humains, notamment les femmes, ce réseau leur permettra de se faire entendre sur les scènes régionale et internationale en agissant ensemble.
Quelle est le rôle de la société civile en Côte d'Ivoire ?
C'est un travail difficile, et je salue le courage des organisations de la société civile en Côte d'Ivoire qui s'engagent activement pour améliorer les droits humains en collaborant avec les mécanismes des Nations Unies, en menant des enquêtes, ainsi qu'en organisant des formations, des actions de sensibilisation et des activités de plaidoyer.
En 2014, les organisations de la société civile, notamment la Coalition Ivoirienne des Défenseurs des Droits Humains ont, à travers le processus de l’Examen Périodique Universel (EPU), proposé des recommandations pour créer une loi protégeant les défenseurs des droits humains. Ces recommandations ont été transformées en loi de promotion et de protection des défenseurs des droits de l’Homme, adoptée en juin 2014. C'est un exemple parmi d'autres montrant comment la société civile peut influencer positivement les droits humains en Côte d'Ivoire.
Quels espoirs avez-vous pour l'avenir de la Côte d'Ivoire ?
J'espère que la collaboration entre les autorités, les institutions des droits humains et les organisations de la société civile continuera de se renforcer. Je suis aussi optimiste pour le mécanisme de protection des défenseurs des droits humains lancé en Côte d'Ivoire en mars 2022, en espérant qu'il inclura les défenseurs eux-mêmes dans sa composition et ses décisions.
Je rêve d'un avenir où tous les textes juridiques internationaux adoptés par notre pays seront pleinement appliqués. Ensemble, nous pouvons construire un avenir pour la Côte d'Ivoire où les droits humains sont respectés et valorisés pour tous et toutes.