« La crise du Burundi est oubliée », Interview avec un avocat burundais en exil

Depuis son exil forcé, Armel Niyongere, avocat burundais et Secrétaire General de SOS-Torture Burundi, membre du réseau SOS-Torture de l’OMCT, continue de dénoncer les violations des droits humains perpétrées dans son pays. Malgré 10 ans de menaces et d’intimidation des autorités, Maitre Niyongere continue son combat de promotion et protection des droits humains. Dans cette interview, il nous parle des difficultés d’exil, ainsi que des défis auxquels sont confrontés les défenseurs des droits humains et du rôle de la communauté internationale.
Au moment de votre exil, quels étaient les risques concrets pour votre vie et pour votre sécurité ?
Lorsque le gouvernement a adressé une liste de personnes à mettre sous mandat d 'arrêt, elle contenait des défenseurs, des journalistes, mis dans la même liste que les militaires qui avaient organisé le coup d'état manqué de mai 2015. Nous risquions l’arrestation et même la mort. Tout ça pour nous empêcher de continuer à faire notre travail de plaidoyer, et de promotion et de protection de droits humains. En exil, nous avons saisi la cour pénale internationale (CPI) et soumis plus de 2 000 communications sur les crimes commis. Nous collaborons avec des partenaires comme l’OMCT pour documenter les violations des droits humains et demander justice.
Aujourd’hui, combien de défenseurs sont encore en exil ?
Depuis 2015, plus d’une centaine de journalistes et le même nombre de défenseurs des droits humains ont fui vers les pays voisins, l’Europe ou l’Amérique.
Donc ils sont dispersés un peu partout, mais malgré ce contexte d'exil, nous avons continué à faire notre travail, nous avons mis en place des stratégies pour continuer à documenter les violations des droits humains grâce à un réseau de confiance confidentielle que nous avons toujours au Burundi. Ils ne se connaissent pas entre eux, ce qui protège le réseau en cas d’arrestation. La collecte d’informations reste difficile, mais nous travaillons avec des sources fiables sur place et des organisations locales, qui travaillent aussi avec nous en toute confidentialité, de peur de représailles.
Quelles sont les principales menaces des défenseurs des droits humains burundais en exil ?
Nous sommes toujours menacés. J’ai failli être arrêté en Belgique à cause d’un signalement sur mon passeport. À Genève, le gouvernement burundais a tenté de m’empêcher d’entrer à une session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Nous sommes aussi victimes d’attaques sur les réseaux sociaux.
Donc, ce sont des menaces continues, mais nous ne cédons pas à la peur parce que nous savons bien qu'ils tentent de se protéger, ils montrent que nous sommes en train de dévoiler toutes les informations liées à leurs violations des droits de humains. Notre combat continue, et nous espérons un jour qu’il y aura une évolution positive au Burundi pour que nous puissions rentrer et poursuivre notre lutte de l’intérieur du pays.
Quel rôle est -ce que la communauté internationale devrait-elle jouer pour mieux protéger les défenseurs en exil ?
Cela fait 10 ans que nous sommes à l 'étranger. La crise burundaise est une crise oubliée de la communauté internationale. Les défenseurs des droits humains et les journalistes rencontrent toujours des difficultés d'arrestations, des menaces, d’intimidation. Il y a des mécanismes mis en place par l’Union Européenne en ce qui concerne la protection des défenseurs, mais il faut que ces mécanismes puissent être associés aux discussions bilatérales entre le Burundi et ses partenaires. Les défenseurs ne sont pas des monnaies d'échange, ou des outils de réclamation, il faut que ça cesse, il faut qu’ils puissent continuer à faire leur travail en toute protection, en toute indépendance.
Pour vous, après 10 ans d 'exil, quelles sont les conséquences ?
Il y a des familles qui ne peuvent pas nous parler, par peur que les autorités leur prennent leur téléphone ou par peur de menaces ou de représailles. Ma famille aussi est persécutée. Je ne peux pas rentrer au pays, mais ce n’est pas moi seulement. Il y a aussi mon épouse, il y a d'autres membres de ma famille qui craignent d'être persécutés à cause de mon militantisme, à cause de mon combat. Pourtant, abandonner la lutte serait abandonner les victimes de cette crise. Nous espérions du changement avec le président de 2020, mais rien n’a évolué. Le gouvernement refuse le dialogue avec l’opposition et la coopération avec les Nations Unies, ce qui empêche toute solution durable.
Votre travail serait-il possible depuis le Burundi ?
Nous, en étant en exil, nous avons continué à produire des rapports alternatifs devant l'examen périodique universel des Nations Unies, les organes de traité, pour continuer à montrer la situation du Burundi, ce que nos collègues dans le pays ne peuvent plus faire, de peur de représailles. C’est pour cela que les actions des défenseurs en exil sont complémentaires aux actions des défenseurs qui sont au pays. Nous relayons à l’international les informations qu’ils ne peuvent pas révéler. Nous vérifions rigoureusement chaque donnée avant publication, et même les autorités Burundaises ne peuvent pas les nier.
Faudrait-il un statut spécial pour les défenseurs en exil ?
Être un défenseur en danger et qui vit en exil a beaucoup de restrictions, notamment dues à cette catégorie de défenseurs. Beaucoup d’entre eux peinent à obtenir des visas ou des statuts de réfugiés, ce qui limite leur capacité à participer aux forums internationaux. Dans le futur, il y aura beaucoup de jeunes générations qui vont refuser d'être défenseur, de peur d’être arrêté. Il faut que la communauté internationale leur accorde un statut spécial pour faciliter leur protection et leur mobilité, et qu’ils puissent ainsi continuer ce travail de promotion et de protection des droits humains malgré le contexte de leur pays.