Bolivie
30.08.24
Blog

« Est-ce que le soleil brille, est-ce qu'il fait beau ? »—Un survivant de la torture sous la dictature militaire bolivienne raconte son histoire

Cet article fait partie de l'initiative multimédia Voices for Human Dignity du Consortium United Against Torture. Cette initiative célèbre le 40e anniversaire de la Convention contre la torture (1984-2024) en faisant entendre la voix des victimes de torture, des experts et des militants.

« J'ai été emmené dans une pièce dont je n'ai jamais connu la couleur des murs. »

Manuel Rojas Boyan est un survivant de l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire moderne. Enfermé sous terre dans le noir total et torturé pour son soutien à la révolution contre la dictature militaire Bolivienne dans les années 1970, Manuel a refusé de donner les noms de ses amis, et a, par conséquence, failli y laisser sa vie.

Tourmenté par la mort de sa mère alors qu'il était à genoux, les mains liées derrière le dos, mangeant des restes sur le sol sale de sa cellule, Manuel a frôlé le désespoir total.

« Je pense en fait qu'il n'y a peut-être pas d'autre point qui pourrait être plus destructeur. Vous perdez complètement toute notion. Je veux dire, vous ne savez pas si vous êtes sur cette planète, ni où vous êtes, ni ce que vous êtes. Vous perdez toute notion. »

La douleur et la souffrance de la torture physique infligée par l'armée bolivienne ont été rendues encore plus graves par la torture psychologique systématique et son impact mental. Ces deux éléments, la souffrance physique ou mentale infligée intentionnellement par l'État, constituent les éléments essentiels de la définition de la torture à l'Article 1 de la Convention contre la torture, adoptée par l'es Nations unies il y a 40 ans.

Parlant au Conseil international pour la réhabilitation des victimes de torture (IRCT), un membre du Consortium United Against Torture, 50 ans après son calvaire, le mécanisme de survie de Manuel face à la torture psychologique lui a inspiré le simple mais inspirant titre des souvenirs de cette époque.

« Comme personne ne me parlait, je n'avais aucun contact avec qui que ce soit, sauf avec cette assiette qui passait par le trou qui se trouvait au bas [de la porte de la cellule]. Alors, j'essayais de parler à la personne qui m'apportait la nourriture, je lui disais : 'Hé, comment tu t'appelles ? Comment ça va ? Dis-moi quelque chose.' Rien ! Il ne me répondait pas. Il leur était interdit de me parler.

Puis, un jour, il m'est venu à l'esprit de demander : 'Est-ce que le soleil brille, fait-il soleil ?' Et jusqu'à présent, je ne sais pas s'il m'a répondu ou si je l'ai imaginé. 'Oui.' Juste un mot.

Alors, pour moi, la question, 'Le soleil brille-t-il ?' c'était une façon de me prouver que j'étais vivant. Le soleil brille. Parce que pour moi, c'est revenir à la vie, sentir la lumière du soleil, la chaleur du soleil qui me ramène à la vie. »

J’inviterais tous ceux qui suivent mon histoire ou tous ceux qui ont eux-mêmes été victimes de torture à penser : « C’est possible. Nous pouvons le faire ! »

Échappé en tant que réfugié de la Bolivie vers le Danemark, Manuel a été l'un des premiers survivants de la torture à suivre un programme de réhabilitation dans le cadre d'un partenariat novateur entre des médecins danois et Amnesty International.

Il a ensuite obtenu un doctorat en anthropologie, a renoué avec ses enfants et a utilisé ses nouvelles aspirations pour militer pour les droits humains des peuples autochtones du lac Titicaca. Le médecin qui l'a soigné, Inge Genefke, a ensuite créé le réseau mondial des centres de réhabilitation des victimes de torture qu'est l'IRCT.

L'histoire de Manuel est également celle du rôle des États-Unis dans la systématisation de la torture en tant qu'outil pour ses alliés militaires en Amérique latine à l'époque. Dans sa guerre froide avec l'Union soviétique, Washington était déterminé à écraser les soulèvements de gauche en Amérique du Sud. Dans le cadre de l'Opération Condor, la Central Intelligence Agency (CIA) a soutenu les dictatures militaires en Bolivie et sur tout le continent dans une campagne de plusieurs décennies de kidnappings, tortures, renditions et assassinats de personnes perçues comme marxistes.

Malgré tout ce qu'il a subi, le message de Manuel est sans équivoque : « Je ne changerais rien de tout ce que j'ai vécu. Ce que j'ai traversé fait de moi ce que je suis désormais... J'inviterais quiconque suivant mon histoire, ou toute personne ayant été victime de torture, à penser : 'C'est possible. Nous pouvons y arriver !’ »

Le Consortium United Against Torture est un projet financé par l’Union européenne qui met en commun les forces et l’expertise de six organisations internationales de lutte contre la torture (IRCT, OMCT, Redress, Omega Research Foundation) en partenariat avec plus de 200 organisations de la société civile et d’autres partenaires dans plus de 100 pays, afin de renforcer et d’étendre la prévention de la torture, la protection, la réadaptation et les litiges stratégiques.