Burundi
25.04.25
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Une décennie en exil : 10 ans de lutte pour les droits humains au Burundi

Le 26 avril 2015, l’annonce du président M. Pierre Nkurunziza de sa candidature à un troisième mandat en violation de la Constitution marquait le début d’une grave crise politique au Burundi. Le mouvement citoyen de contestation générale organisé suite à cette annonce a fait l’objet d’une violente répression, provoquant des centaines de morts. Journalistes, opposants politiques et défenseurs des droits humains sont devenus des cibles privilégiées du régime. Face aux arrestations arbitraires, aux menaces et aux assassinats, plusieurs centaines d’entre eux ont été contraints à l’exil.

Dix ans après, la situation des droits humains au Burundi ne s’est pas améliorée. Alors que les crimes commis pendant la crise restent impunis, le régime de M. Évariste Ndayishimiye, président élu en 2020, s’inscrit dans la lignée de son prédécesseur et réprime toute voix critique de manière persistante. De plus, une escalade de la répression est à craindre dans le contexte des élections législatives qui se tiendront cette année.

Toujours en exil, les défenseurs des droits humains œuvrent sans relâche pour la justice et les droits humains au Burundi. Leur résilience et leur détermination rappellent que l’exil n’est pas un abandon, mais qu’il permet au contraire une autre forme de résistance. Nous leur avons demandé de partager leur vision de la situation au Burundi, la continuité du combat de la société civile pour la justice et la paix malgré les défis, et leurs espoirs pour le futur.


Me Armel Niyongere est avocat, président de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture au Burundi, membre de l’Assemblée Générale de l’OMCT et également membre du groupe d’avocats de SOS-Torture en Afrique. Il a été contraint à l’exil en 2015, alors qu’il était recherché par les autorités pour avoir organisé les manifestations pacifiques à Bujumbura, puis condamné à la prison à vie en 2021. Depuis l’exil, il a fondé SOS-Torture Burundi, une organisation membre du réseau SOS-Torture de l’OMCT qui documente les violations des droits humains au Burundi.

Comment la situation des droits humains a-t-elle évolué au pays depuis 2015 ?

Depuis 2015, la situation des droits humains au Burundi demeure extrêmement préoccupante. Même si, à l’extérieur, les autorités burundaises tentent de montrer une image d’ouverture, la réalité sur le terrain reste sombre. Les libertés d’expression, d’association et de réunion sont toujours sévèrement restreintes. La répression s’est institutionnalisée.

Quels sont les défis auxquels fait face la société civile burundaise ?

La société civile indépendante a été décimée ; beaucoup d’organisations ont été suspendues ou interdites, et les défenseurs des droits humains qui sont restés au pays travaillent sous une surveillance constante, au péril de leur vie. Certains défenseurs des droits humains burundais en exil ont été condamnés à de lourdes peines de prison à défaut d’avoir pu comparaître, dans des procès injustes, parfois à la suite d’accusations fabriquées de toutes pièces. Certains ont été radiés arbitrairement du barreau.
Ils subissent également une stigmatisation orchestrée par les autorités burundaises, qui les présentent comme des « ennemis de la nation », ce qui peut influencer négativement la perception qu’une partie de la population a d’eux.

Malgré des changements politiques superficiels, les conditions ne permettent toujours pas leur retour : il n’y a aucune garantie de sécurité, aucune justice pour les crimes commis et aucune véritable volonté politique d’engager des réformes structurelles. Le climat de peur persiste, y compris pour les exilés.

Après 10 ans de résilience, quel regard portez-vous sur ce parcours ?

Cela fait dix ans que l’exil nous a éloignés de notre terre, de notre famille, mais jamais de notre combat. Chaque jour passé loin du Burundi renforce en nous une seule certitude : nous n’abandonnerons jamais. Notre engagement est une promesse faite aux victimes, à ceux qui n’ont plus de voix. Notre engagement nous a permis de remporter des victoires, notamment la condamnation du Burundi par un comité onusien. Nous continuerons à dénoncer, partout dans le monde, les crimes commis au Burundi.

La société civile indépendante burundaise a été décimée ; beaucoup d’organisations ont été suspendues ou interdites, et les défenseurs des droits humains qui sont restés au pays travaillent sous une surveillance constante, au péril de leur vie.

(Armel Niyongere, avocat et Secrétaire générale de SOS Torture Burundi)


Me Jeanne d’Arc Zaninyana est avocate et Directrice du Mouvement des femmes et des filles pour la paix et la sécurité (MFFPS), une organisation membre du réseau SOS-Torture fondée en 2015 pour promouvoir l’État de droit et assister les victimes de violences sexuelles. Elle est également membre du groupe d’avocats de SOS-Torture en Afrique. Elle a quitté le Burundi en 2015 avec son mari avocat, menacé pour avoir déposé une plainte pour contester le troisième mandat du président Nkurunziza.

Les 10 et 13 mai 2015, les femmes et les filles burundaises ont joué un rôle important dans l’organisation de marches pour réclamer le respect de la Constitution, qui ont été sévèrement réprimées. Depuis lors, comment s’est poursuivi l’engagement des organisations féminines de la société civile au Burundi ?

L’engagement des femmes burundaises ne s’est jamais éteint. Au contraire, il s’est transformé et s’est renforcé dans la résilience. Certaines sont restées sur le terrain en adoptant des formes d’activisme plus discrètes, et d’autres ont poursuivi la lutte depuis l’exil. MFFPS a continué à dénoncer les violences contre les femmes au niveau régional et international à travers des campagnes, à assister les femmes réfugiées au niveau psychosocial et juridique et à garder la mémoire de cette résistance féminine. Dans le cadre du groupe d’avocats SOS Torture en Afrique, j’accompagne plusieurs victimes burundaises pour demander justice et réparation au niveau international.

Quel impact a eu l’exil sur votre vie et votre travail ?

L’exil est une fracture. Il m’a confronté à la perte de repère, l’éloignement des proches et un profond sentiment de déracinement. Mais l’exil m’a aussi offert un espace de liberté pour poursuivre mon engagement sans craindre la répression directe. Il m’a permis d’accéder à des réseaux de solidarité, de porter la voix des femmes burundaises dans des espaces ou elles étaient absentes.

L’exil est une fracture, mais il m’a permis de poursuivre mon engagement sans craindre la répression

(Jeanne d’Arc Zaninyana, avocate)


Marie-Louise Baricako est présidente du Mouvement INAMAHORO, une association de femmes burundaises fondée en exil en 2015 pour influencer des politiques nationales favorisant la paix et la prise en compte des droits des femmes et amplifier la voix des femmes. Son engagement de longue date au sein du mouvement féminin et ses interventions publiques en faveur du dialogue national inclusif et de la réunification du Burundi, qui irritaient les dirigeants du pays, l’ont poussée à s’exiler depuis 2015.

Comment percevez-vous l’évolution de la situation au Burundi depuis 2015 par rapport au droit des femmes ?

Les questions liées aux droits des femmes ne semblent pas encore être une priorité pour les dirigeants du Burundi. L’adoption de la Loi no 1/013 du 22 septembre 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des violences basées sur le genre a suscité beaucoup d’espoir. Cependant, le manque d’engagement des dirigeants politiques, aggravé par la culture de l’impunité qui s’est implantée depuis 2015, ainsi que l’absence de la primauté du droit et d’une justice indépendante et inclusive, font que cette loi reste lettre morte, alors que le nombre de victimes de violences basées sur le genre ne cesse de s’accroître.

Quels sont vos espoirs pour le futur de votre pays et pour les centaines de représentants de la société civile, activistes et journalistes toujours en exil ?

Même si les défis du Burundi et sa population en exil sont nombreux, nous gardons l’espoir d’un changement positif. Une mobilisation accrue de la communauté internationale, encore trop absente face à cette crise oubliée, est fondamentale. La société civile doit renforcer son plaidoyer et sa résilience pour convaincre la communauté internationale de rappeler au gouvernement burundais son devoir d’engager des réformes garantissant le respect des droits humains, la réouverture de l’espace civique et un retour sécurisé des réfugiés. L’impunité des violations reste un obstacle majeur à la réconciliation, menaçant de perpétuer le cycle de violence et de répression. Enfin, la grave crise économique que traverse le pays pourrait inciter les acteurs internationaux à exiger des améliorations en matière de droits humains en échange d’investissements et d’aides financières.

De même, la reconnaissance par le Burundi du rôle de la femme et sa participation dans les instances de prise de décisions est primordiale pour une paix et un développement durable.

Le gouvernement burundais doit s’engager dans des réformes garantissant le respect des droits humains, la réouverture de l’espace civique et un retour sécurisé des réfugiés.

(Marie Louise Baricako, présidente du Mouvement INAMAHORO)


M. Anschaire Nikoyagize est Président de la Ligue Burundaise des Droits de l’Homme Iteka, première organisation de défense des droits humains au Burundi, fondée en 1991. En novembre 2015, il a fui le Burundi pour échapper aux menaces des autorités à la suite de la publication d’un rapport sur les violations des droits humains pendant la crise.

Selon vous, quelle influence exerce le travail de la société civile en exil sur la situation des droits humains au Burundi ?

Le travail de documentation et de plaidoyer de la société civile en exil exerce une grande influence sur la situation des droits humains au Burundi, qui a permis notamment l’ouverture d’une enquête à la Cour pénale internationale, la création de la Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi et du mandat du Rapporteur Spécial des Nations-unies sur la situation des droits humains au Burundi. Ce travail demande un engagement exceptionnel pour les défenseurs en exil, et expose constamment les collaborateurs au pays à de grands risques vis-à-vis du pouvoir de Bujumbura. La Ligue Iteka publie régulièrement depuis le début de la crise, des rapports sur la situation sécuritaire et des droits humains qui prévaut au pays et sensibilise la population dans des émissions radios.

Quelles sont selon vous les priorités pour ramener la paix et l’État de droit au Burundi ?

Il est essentiel d'investir dans la jeunesse au Burundi, moteur du changement. La Ligue Iteka propose la création d’une plateforme visant à rapprocher et réconcilier cette jeunesse et à favoriser l’émergence d’organisations de la société civile et des partis politiques. L’objectif est de former et sensibiliser les jeunes à la promotion de la paix et aux valeurs des droits humains, qui font cruellement défaut aujourd’hui.

Le travail de documentation et de plaidoyer de la société civile en exil a permis l’ouverture d’une enquête à la Cour pénale internationale, et la création de plusieurs mécanismes onusiens visant à enquêter sur les crimes commis en 2015.

(Anschaire Nikoyagize, président de la Ligue Iteka)


Madame Anitha Gateretse est juriste et coordinatrice de l’ACAT Burundi, organisation fondée en 2003 pour lutter contre la torture et également coordinatrice nationale de TLP Burundi. Elle a fui au mois de juillet 2017 pour échapper au même sort que son collègue M. Germain Rukuki, arrêté et emprisonné illégalement pendant plusieurs années.

Depuis 2015, comment votre organisation a-t-elle contribué, depuis l’exil, à améliorer la situation des droits humains au Burundi ?

Depuis 2015, la situation au Burundi est marquée par un espace civique verrouillé, la corruption endémique dans tous les secteurs de la vie du pays et la recrudescence des cas de violations des droits humains qui se commettent en toute impunité. L’ACAT Burundi a joué un rôle crucial dans la collecte, la documentation et la diffusion de rapports pour dénoncer les actes de torture, disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires et arrestations arbitraires commises par les autorités.

Comment envisagez-vous le futur pour les centaines de représentants de la société civile, activistes et journalistes en exil depuis 10 ans ?

La plupart des acteurs de la société civile et des journalistes en exil sont résolus à continuer le combat malgré les défis liés à la géopolitique actuelle régionale et mondiale, qui accorde peu d’importance à la crise politique au Burundi. Nous réfléchissons à des stratégies de résilience pour mobiliser une nouvelle génération d’acteurs de la société civile et de journalistes gagnés à la cause des droits humains.

La plupart des acteurs de la société civile et des journalistes en exil sont résolus à continuer le combat

(Anitha Gateretse, coordinatrice ACAT Burundi)

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