Bangladesh
17.10.13
Interventions urgentes

La libération sous caution du secrétaire d’Odhikar, Adilur Rahman Khan, doit être un premier pas vers le respect et la protection des défenseurs des droits de l’Homme !

Genève-Paris, 11 octobre 2013. Alors que l’Organisation mondialecontre la torture (OMCT) et la Fédération internationale des ligues des droitsde l’Homme (FIDH) viennent d’achever leur mission au Bangladesh dans le cadrede l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme,elles réclament la fin des poursuites engagées contre Adilur Rahman Khan,éminent avocat engagé dans la défense des droits de l'Homme, ainsi que le pleinrespect des droits énoncés dans la Déclaration des Nations unies sur lesdéfenseurs des droits de l’Homme.

La mission était dirigée par M. Yves Berthelot,président de l’OMCT (France), et M. Max De Mesa, président de l’Alliancephilippine des avocats pour les droits de l’Homme (Philippine Alliance ofHuman Rights Advocates – PAHRA), organisation membre de l’OMCT et de laFIDH, et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT (Philippines). La missions’est déroulée à Dacca du 5 octobre au 9 octobre 2013. La délégation arencontré des représentants de la société civile, des médias, de la communautédiplomatique, ainsi que le ministre de l’Information, le ministre de laJustice, du Droit et des Affaires parlementaires, le président de la Commissionnationale des droits de l’Homme et le Procureur général du Bangladesh. Ladélégation a aussi pu assister à l’audience de demande de mise en liberté souscaution de M. Adilur Rahman Khan, secrétaire d'Odhikar, organisationmembre de l’OMCT et de la FIDH, et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT.L’audience s’est tenue devant la Division de la Haute cour au sein de la Coursuprême, le 8 octobre 2013. La délégation tient à remercier toutes lespersonnes rencontrées au cours de cette mission.

« Nous nous félicitons du fait que laHaute cour ait décidé de libérer sous caution M. Adilur Rahman Khan et nousconsidérons qu’il s’agit là d’une mesure importante, d’un pas en avant attendudepuis longtemps. Nous espérons que cette décision mettra un terme à laprocédure pénale lancée contre lui et ses collègues d’Odhikar » adéclaré M. Berthelot, commentant l’ordre de remise en liberté au dernier jourde la mission. « La détention de M. Khan et le recours à la Loi sur lesTechnologies de l’information et de la communication (TIC) ont eu pour effetd’intimider sévèrement la communauté des droits de l’Homme au Bangladesh. Il estévident que de fortes pressions politiques ont été exercées tout au long del’examen de cette affaire, ce qui est très préoccupant pour le respect de lalégalité et de l’Etat de droit »a-t-il ajouté.

M. Khan était en détention depuis le 10 août2013, suite à une plainte déposée en vertu de la Loi sur les TIC à propos d’un rapportd’enquête publié par Odhikar sur l’opération menée par les forces de sécuritéles 5 et 6 mai 2013 lors du rassemblement de militants de Hefazat-e Islam, àDacca. Le 4 septembre 2013, un acte d’accusation a été prononcé contre lui etcontre le directeur d’Odhikar, M. Nasiruddin Elan, leur reprochantd’avoir “truqué des photos en utilisant photoshop et en publiant unrapport fallacieux ayant enflammé l’opinion publique”, en vertu du chapitre 57de la Loi sur les TIC et des chapitres 505 (c) et 505A du Code pénal, en lien avec lerapport d'Odhikar. Le 11 septembre 2013, le Tribunal sur les cyber-crimes alancé un mandat d’arrêt contre M. Elan.

Le 8 octobre 2013, la Division de la Haute courau sein de la Cour suprême du Bangladesh a accordé à M. Adilur Rahman Khan sixmois de liberté provisoire sous caution. Le 9 octobre 2013, le bureau duProcureur général a introduit un recours auprès de la Chambre d’appel de laCour suprême en vue de suspendre la décision de la Haute cour qui accordait àM. Khan sa mise en liberté provisoire. Toutefois, le juge de la Cour d’appel adécidé le jour même de confirmer la décision de la Division de la Haute cour.L’Observatoire rappelle que la demande de mise en liberté sous cautionintroduite par l’avocat de M. Khan avait été rejetée à trois reprises dans lecadre de cette même affaire, une fois par le Tribunal des cyber-crimes à Daccale 25 septembre 2013 et deux fois par le Président du Tribunal d’instancemétropolitain le 11 août et le 9 septembre. M. Khan a ensuite contesté la décision du Tribunalsur les cyber-crimes du 25 septembre, et a interjeté appel auprès de la Hautecour, demandant à être placé en liberté sous caution.

Le 11 octobre 2013, à 10h30 du matin, M. Khan afinalement été libéré sous caution et a pu quitter la prison n° 1 de Kashimpur.L’Observatoire est préoccupé par le fait qu'il ait fallu deux jours pour quel’ordre de libération soit exécuté et considère qu’il s’agit là d’une forme deharcèlement vis-à-vis de M. Khan.

L’Observatoire tient à rappeler que M. AdilurRahman Khan est resté en détention pendant plus de 21 jours sans avoir étéofficiellement inculpé ; qu’il attendait depuis le 13 août2013 d’être traduit devant la justice et qu’aucun Procureur n’a encore étédésigné pour représenter le gouvernement à son procès, ce qui constitue uneforme de harcèlement supplémentaire et un retard dans la formulation des chefsd’accusation. En outre, bien que la prochaine audience du procès ait été fixéeau 21 octobre 2013, les vacances judiciaires ont débuté hier et le Tribunal nereprendra ses travaux que le 1er novembre.

Par ailleurs, lors de sa mission au Bangladesh,la délégation a été informée que le 6 octobre 2013, le Parlement national duBangladesh a voté une série d’amendement à la Loi sur les Technologies del’information et de la communication, qui prévoit une durée d’incarcération desept ans minimum et qui porte la peine maximale pour les cyber-crimes à 14 ans,contre 10 en vertu de la loi actuelle, et/ou une amende de 10 millions de Taka.En outre, les infractions visées aux chapitres 54, 56, 57 et 61 de la Loi surles TIC de 2006 sont désormais considérées comme des délits sanctionnés envertu du Code pénal, et ne sont plus sujettes à caution. Par conséquent, lesautorités ont le droit d’arrêter sans mandat quiconque est accusé d’avoir violéla loi, en invoquant le chapitre 54 du Code de procédure pénale.

Ces amendements risquent de susciter denouvelles arrestations et mesures de harcèlement à l'encontre des défenseursdes droits de l’Homme, réduisant d’autant la marge de manoeuvre de la sociétécivile dans le pays, et il est à craindre que ces amendements soient appliquésde manière rétroactive dans la procédure en cours contre M. Adilur Rahman Khanet M. Nasiruddin Elan. « Changer les "règles du jeu" aumilieu de la procédure judiciaire en créant une nouvelle juridiction, eninstaurant des peines plus sévères et en adoptant de nouvelles dispositions enmatière de cautionnement équivaut à une violation de l'Etat de droit »,a observé la délégation. Aucune explication satisfaisante quant à la nécessitéd’une telle modification n'a été fournie à la délégation, et celle-ci restepréoccupée par la question de la conformité au principe de légalité. Lesinfractions à la Loi sur les TIC sont énoncées de manière très générale, et sont doncsusceptibles de conduire à des abus et de saper le travail des défenseurs desdroits de l’Homme, ainsi que celui des journalistes, des bloggeurs, et d'autresacteurs.

Enfin, tout en se félicitant des assurancesréitérées par les représentants du gouvernement rencontrés par les chargés demission quant au respect par le gouvernement des droits de l’Homme, de laliberté d’expression, et du droit à un procès équitable et l’Etat de droit,ainsi que des promesses formulées par les autorités pour garantir l’intégritéphysique et la sécurité de M. Adilur Rahman Khan, la délégation estime que:

1. Les poursuites engagées contre M. AdilurRahman Khan ainsi que la stigmatisation dont il a fait l'objet dans les médiasont eu pour effet d’effrayer la société civile et les défenseurs en général. Ilrègne aujourd’hui un climat d’insécurité au sein de la communauté des droits del’Homme au Bangladesh, traditionnellement connue pour sa diversité et sa vigueur. Sacapacité à entreprendre des actions critiques en matière de droits de l’Hommese trouve déjà diminuée dans la mesure où les organisations hésitent désormaisà documenter les violations, et que victimes et témoins, en particulier dansles zones rurales, craignent de s’exposer. L'existence d'une documentation surla situation des droits de l’Homme constitue un élément fondamental de progrèsdans n’importe quel pays démocratique et les défenseurs de ces droits doiventpouvoir être en mesure d'exercer leurs actions de documentation, tout enprotégeant leurs sources si nécessaire. Il est donc nécessaire de rétablir unconsensus autour de ces principes fondamentaux.

2. Le maintien des poursuites engagées contre M.Adilur Rahman Khan et, pire encore, une éventuelle condamnation, viendraientdurcir les menaces existantes et les mesures d’intimidation vis-à-vis desdéfenseurs des droits de l’Homme, et réduire l’espace démocratique nécessaire àun travail efficace en matière de protection des droits de l'Homme. Nous avonsconstaté des signes de pressions gouvernementales dans les poursuitesjudiciaires contre M. Khan et Odhikar, ce qui laisse planer de sérieux doutessur l'intégrité de la procédure. Nous rappelons à cet égard que touteinstrumentalisation du pouvoir judiciaire et toute interférence directe ouindirecte risque de nuire et de compromettre la réputation du pouvoirjudiciaire et de l’Etat de droit. Dans ce contexte, il est doublement importantde garantir scrupuleusement le droit à un procès équitable tel que défini dansle Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP), d’évitertoute interférence du pouvoir exécutif dans la procédure judiciaire, etd’autoriser des observateurs internationaux à assister aux procès.

3. La situation politique est aujourd’huigravement polarisée et la population du Bangladesh socialement divisée. Chaquedéclaration, et davantage encore chaque critique, est immédiatement associée,étiquetée et cataloguée en fonction de l’appartenance à tel ou tel partipolitique, conduisant à des actes de dénigrement, à des accusations ou à desactions violentes contre des personnes. L'environnement de radicalisationgrandissante au sein de la société contribue encore davantage à cette polarisation.Les défenseurs des droits de l’Homme courent donc désormais de grands risqueset pratiquent l’auto-censure de peur que leurs commentaires ne soientinterprétés à tort comme une forme d’activisme politique. Il estparticulièrement important, dans de tels contextes, de s'assurer que lesdéfenseurs des droits de l’Homme puissent mener librement leur travailindépendant de protection des droits de l'Homme, sans se sentir menacés et sansêtre automatiquement considérés à tort comme des militants politiques.

4. Un changement concerté de paradigme, sur unepériode à moyen et long terme, est impératif pour que le statut social d’unepersonne ne soit plus déterminé par une appartenance politique qui ledéfinirait entièrement, mais par un contexte axé sur le développement et surune gouvernance qui tiendrait compte des droits de chacun. Ce changement deparadigme devrait être inspiré par la nécessité de protéger les droits del’Homme, y compris par des mesures efficaces pour enquêter sur les violations,de protéger les témoins et les victimes et de faire en sorte que tous lescoupables aient à rendre des comptes. Ce changement d'orientation et cettenouvelle démarche de la part de tous les acteurs doit se focaliser sur laprotection de celles et ceux qui défendent les droits des tiers.

5. Au regard de la crise aigüe que vivent lesdéfenseurs en ce moment, des mesures urgentes doivent être prises pour leurgarantir une pleine protection des droits énoncés dans la Déclaration desNations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et réaffirmer l’engagement des autorités envers laprotection des défenseurs des droits de l’Homme, ce qui constitue laresponsabilité première de tout gouvernement démocratique. Il est nécessaire deprocéder à une révision du cadre juridique et politique pour les défenseurs desdroits de l’Homme afin de garantir un environnement favorable aux défenseursdes droits de l'Homme au Bangladesh.

La communauté des droits de l’Homme auBangladesh est aujourd’hui plus importante que jamais, et elle aura besoin d'unsoutien continu pour faire face aux menaces auxquelles elle est actuellementconfrontée.

« L’affaire Khan », a observéM. Max De Mesa, « va devenir un test décisif tant pour le gouvernementque pour la société civile, et permettra de prévoir quelle direction prendra lepays avant, pendant et après les élections, quant au degré de déterminationavec lequel les droits civils et politiques, tels que la liberté d’expression,le droit à un procès équitable et l’Etat de droit, seront mis en œuvre ».

De manière plus générale, l’Observatoire demandeinstamment aux autorités du Bangladesh de mettre fin à toute forme deharcèlement à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme au Bangladesh, dese conformer aux dispositions prévues dans la Déclaration des Nations unies surles défenseurs des droits de l’Homme et de garantir en toutes circonstances lerespect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, conformément auxnormes internationales en matière de droits de l’Homme et aux instruments internationauxratifiés par le Bangladesh.