Sénégal
23.06.03
Interventions urgentes

Sénégal: Lettre ouverte au Président concernant l'interpellation du Secrétaire Général de la RADDHO

Lettre ouverte au président de la République du Sénégal

Monsieur Abdoulaye Wade
Président de la République du Sénégal

Paris-Genève, le 23 juin 2003


Monsieur le Président de la République,

La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) et l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, a été informé par l'organisation Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO) de l'interpellation de M. Alioune Tine, Secrétaire Général de la RADDHO, qui a été entendu le 20 juin au Ministère de l'Intérieur, notamment par la Sûreté Nationale.

Selon les informations reçues, M. Tine a été appelé vers 9h30, par le Commissaire Divisionnaire, M.Alioune Badara Diagne. Il a ensuite été conduit chez le Directeur Général de la Sûreté Nationale, M.Cheikhou Sakho. Ce dernier lui a demandé s'il connaissait M. Jemil Ould Mansour, un opposant mauritanien qui s'est réfugié au Sénégal après le putsch manqué du 14 au 16 juin 2003. En outre, le Directeur Général de la Sûreté Nationale lui a affirmé que s'il cachait ce prisonnier, cela constituait un recel de droit commun.

M. Tine a ensuite été présenté à l'Inspecteur de Police, M. Mbaye Sady Diop qui l'a auditionné et fait signé un procès verbal. L'inspecteur Diop lui a demandé s'il connaissait M. Jemil en lui affirmant que " l'Etat sénégalais tiendrait pour responsable toute personne qui tenterait de le soustraire à la justice ou qui favoriserait sa fuite à l'extérieur" et que M Jemil est " un délinquant et un prisonnier de droit commun". M.Tine lui a répondu qu'il ne le connaissait pas personnellement mais à travers la presse et des amis mauritaniens. Il a ajouté que "M. Jemil n'est pas un prisonnier de droit commun mais un réfugié politique, maire de Arafat et la 3eme personnalité d'un parti politique reconnu en Mauritanie. Si le Sénégal l'extrade en Mauritanie, il risque la prison à perpétuité. Le Sénégal a l'obligation de lui offrir l'asile politique ou de lui permettre de trouver refuge dans un autre pays".

Il semblerait que l'interpellation de M. Tine soit liée à ses déclarations publiques au sujet des récents troubles en Mauritanie. Tout en condamnant le putsch manqué, il avait insisté sur les graves risques encourus par les réfugiés mauritaniens en cas d'extradition vers la Mauritanie et sur l'obligation du Sénégal de se soumettre aux instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme garantissant le droit à la vie, en l'absence d'une convention d'extradition entre les deux pays.

L'Observatoire souligne que c'est la troisième fois que M.Tine est interpellé ou entendu par la Division des Investigation Criminelle (DIC) ou la Sûreté. En effet, en 2001 il avait été interpellé et entendu par la DIC concernant ses positions sur les réparations en lien avec l'esclavage et la colonisation en Afrique (voir rapport 2001 de l'Observatoire). En mars 2003 il avait été de nouveau convoqué par la DIC en raison de son soutien à la Coalition Nationale de la Société Civile Togolaise qui souhaitait organiser un colloque au Sénégal avec l'appui de l'Union européenne.

L'Observatoire est préoccupé par ces interpellations répétées, qui s'inscrivent en violation de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'Homme adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, dont l'article 6.b dispose que " chacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l'Homme et toutes les libertés fondamentales ".

L'Observatoire prie les autorités sénégalaises de mettre un terme à toute forme de harcèlement visant Monsieur Alioune Tine en raison de son activité de défense des droits de l'Homme, de se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'Homme et plus particulièrement à son article 1, qui dispose que "chacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international" et, plus généralement, de se conformer aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l'Homme liant le Sénégal.


Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président de la République, l'expression de notre plus haute considération.


Sidiki KABA Eric SOTTAS
Président de la FIDH Directeur de l'OMCT