France
24.10.17
Interventions urgentes

Note conjointe: Vers une politique assumée de criminalisation des défenseurs des droits des migrants ?


Au cours de ces derniers mois, laLigue Française des droits de l’Homme (LDH) et l’Observatoire pour laprotection des défenseurs des droits de l’Homme (un partenariat FIDH-OMCT)ont documenté un accroissement de la criminalisation visant les actes desolidarité et de soutien aux personnes migrantes en difficulté[1]et les défenseurs de leurs droits.

La majorité des cas documentés cesderniers mois concerne la vallée de la Roya, région des Alpes Maritimes quiborde la frontière italienne et compte 5000 habitants. La vallée de la Roya estle théâtre d’une vaste opération policière visant à intimider le passage et laprésence de migrants. La vallée est en permanence surveillée par environquatre-cents policiers et/ou gendarmes, qui opèrent un contrôle strict dudéplacement de toute personne « d’apparence étrangère », selon lestémoignages des associations. Des dizaines de migrants se cachent et se mettenten danger pour échapper à la police. Ainsi, il y aurait eu officiellementdepuis l’été 2016 au moins 18 décès de personnes migrantes constatés par lespompiers. En outre, lorsque des personnes sont appréhendées par la police auxfrontières française, plusieurs témoignages font état de refoulement versl’Italie, en violation des procédures relatives au droit d’asile. En l’absencede processus d’accueil et d’accompagnement, des habitants se mobilisent pourapporter une aide humanitaire ou un soutien juridique ou social aux personnesmigrantes en situation de détresse ou de difficulté dans la région. Depuisquelques mois, les militants associatifs mais également de simples citoyenssont victimes de harcèlement et répression de la part des autorités françaises.

De nombreux membres del’association « Roya citoyenne », portant secours aux réfugiés etmigrants de passage dans la vallée de la Roya, sont visés par cette vague deharcèlement. L’association fait également l’objet d’une procédure d’assignationen référé à la suite d’une plainte déposée par M. Olivier Bettati,conseiller municipal de Nice et conseiller régional de la région PACA.L’audience initialement prévue le 18 juillet 2017 a été reportée au 13 octobre2017. Un verdict est attendu le 9 novembre 2017.

À Calais, Paris et dans denombreuses régions de France, de plus en plus de personnes défenseures desdroits des personnes migrantes se plaignent de la multiplication des cas deconvocations au commissariat, de gardes à vue et de poursuites pour « aideau séjour irrégulier » ou autres délits.

Dans la majorité des cas, lespoursuites contre les personnes engagées dans la défense des droits despersonnes migrantes et réfugiées se font aux termes de l’article L. 622-1 duCode de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) pour« aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étrangeren France ». L’article L. 622-4 du Ceseda prévoit une « exceptionhumanitaire » précisant que « lorsque l'acte reproché n'a donnélieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir desconseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou desoins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes àl'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité oul'intégrité physique de celui-ci » cet acte ne peut donner lieu à despoursuites pénales. Or la formulation imprécise et vague de cet article a donné lieu à des interprétationspermettant la poursuite pénale de personnes pour avoir mené des actions« humanitaires et désintéressées »[2].Voici ci-dessous quelques exemples particulièrement inquiétants dans la mesureoù ils ont donné lieu à des condamnations par la justice française.

Cédric Herrou :

M. Cédric Herrou est un militant,membre du conseil d’administration de l’association « Royacitoyenne », engagé dans des actions d’aide et d’accueil des personnesmigrantes et réfugiées notamment dans la vallée de la Roya. M. Herrou dénonce particulièrement lerefoulement illégal de migrants, notamment des mineurs, des Alpes Maritimesvers l’Italie.

Depuis 2016, M. Herrouest régulièrement convoqué par la police. Il a été placé en garde à vue septfois et son domicile a été perquisitionné cinq fois.

Le 11 août 2016, M. Cédric Herroua été interpellé à la sortie de son domicile et placé en garde à vue par lapolice aux frontières de Menton, alors qu’il conduisait un véhicule avec à sonbord huit personnes migrantes sans papiers d’identité.

Lors de son interrogatoire, M. Cédric Herrourevendiquait une action humanitaire ancienne auprès des migrants afin de leurpermettre de se nourrir, de se laver et de se réchauffer avant de les conduireà la gare ferroviaire la plus proche sans percevoir aucune contrepartie.

L’affaire fut classée sans suite par la justicefrançaise au motif de l’« exemption humanitaire » prévue parl’article L. 622-4 du Ceseda.

Le 20 octobre 2016, une patrouille de gendarmerie aévacué un immeuble désaffecté de la Société nationale des chemins defer (SNCF) à Saint Dalmas de Tende, organisé en centre d’accueiltemporaire pour étrangers en situation irrégulière, dont 29 mineurs, parplusieurs associations dont Roya citoyenne, Médecins du monde, AmnestyInternational, Association démocratie Nice (ADN), Habitat &citoyenneté, Réseau éducation sans frontières (RESF),Cimade 06, MRAP 06, et la LDH. Sur place étaient également présents plusieursreprésentants d’associations locales, y compris la section de Cannes et deGrasse de la LDH, et M. Cédric Herrou. Trois bénévoles ont été arrêtés dont M.Herrou. Dans leur procès-verbal, les gendarmes ont conclu à une occupationillicite du bien immobilier appartenant à la SNCF « nepermettant pas d’accueillir dans des conditions sanitaires et sécuritaires lespersonnes affaiblies, malades et souvent mineures ». M. Herrou a été gardé48 heures en garde à vue et les deux autres bénévoles 24 heures. Le parquet deNice a alors décidé d’engager des poursuites pénales contre M. Herrou à lasuite de ce procès-verbal. Aucun des autres bénévoles ou associations présentesn’a été inquiété. M. Herrou a alors été placé sous contrôle judiciaire :il a été assigné à résidence, interdit de quitter le département des AlpesMaritimes et interdit de conduire un véhicule. De plus, son mini van a étésaisi par la police.

Le 10 février 2017, le Tribunal correctionnel de Nicea condamné M. Herrou à 3000 euros d'amende avec sursis pour violation del’article L. 622-1. Il a reconnu que bien que l’action de M. Cédric Herrou sefaisait dans un cadre de solidarité évident, il estimait que M. Herroun’apportait pas la preuve d’une action de sauvegarde individualisée pour chaquemigrant dont il a facilité l’entrée sur le territoire national alors qu’il nepeut pas indiquer leurs noms, les circonstances de leur venue en Europe etfournir la preuve au cas par cas d’un franchissement de la frontière qui auraitété réalisé dans des circonstances matérialisant un péril. Le Parquet a faitappel.

Le 8 août2017, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné M. Cédric Herrou àquatre mois de prison avec sursis et à verser 1 000€ de dommages et intérêts àla SNCF pour violation de l’article L. 622-1 du Ceseda et « faitsd’installation en réunion sur le terrain d’autrui [la SNCF], sans autorisation,en vue d’y habiter » (article 322-4-1 du Code pénal). Pendant le procès,l’avocat général a invoqué qu’il y avait eu une contrepartie à l’aide apportéepar Cédric Herrou, car « lorsque l’aide s’inscrit dans la contestationglobale de la loi, elle sert une cause militante et constitue à ce titre unecontrepartie ».

Cette nouvelle interprétationrestreint « l’immunité humanitaire » telle que prévue par l’articleL.622-4 du Ceseda alors que la cause militante visée par la cour est celle dela protection des personnes migrantes et réfugiées vulnérables et ne sauraientêtre interprétée comme étant en contradiction avec les termes de cet article.Une telle interprétation jurisprudentielle de « l’immunitéhumanitaire » met en péril la définition et le but même de celle-ci, alorsque M. Herrou ne tire aucune contrepartie financière ou matérielle de sesactions.

Le 24 juillet 2017, M. CédricHerrou a été arrêté le 24 juillet 2017 à la gare de Cannes dans un train danslequel voyageaient 156 personnes migrantes qui se rendaient à Marseille pourdéposer une demande d’asile. M. Herrou était présent dans le train de Niceà Cannes afin de filmer d’éventuelles interpellations. Après avoir été maintenuen garde à vue pendant deux jours, la sixième depuis 2016, M. CédricHerrou a été mis en examen pour violation de l’article L. 622-1 du Ceseda,placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoirefrançais et d’accéder aux gares et aux parvis de gare des Alpes Maritimes. Ildoit en outre aller pointer à la Gendarmerie de Breil sur Roya toutes les deuxsemaines. Il risque jusqu’à cinq ans de prison et 30 000 € d’amende.

Le 17 août 2017, il a à nouveauété convoqué pour une audition libre dans le cadre d’une enquête pour« avoir commis ou tenté de commettre l’infraction d’injure publique enversun fonctionnaire dépositaire de l’autorité publique par un moyen de communicationpar voie électronique et ce les 12 et 13 juin 2017 ». Cette convocation,qui fait suite à une plainte déposée par le préfet des Hautes Alpes, est liée àun post Facebook dans lequel il critiquait la politique mise en place àl’encontre des migrants dans la région. L’audience est prévue pour le 20novembre 2017.

Le 12 septembre 2017 vers 9h, M. Cédric Herrou et un demandeurd’asile qui vit chez lui ont été convoqué à la gendarmerie de Breil sans plusd’explications. A leur arrivée, ils ont été arrêtés et mis en garde à vue pour« violences » et « séquestration ». Vers 10h, 15 policiersont mené une perquisition sur le terrain de M. Herrou, et ont fouillé lacaravane où vit le demandeur d’asile. Au cours de cette perquisition, desdégâts ont été occasionnés sur une caravane et trois tentes ont été déchirées.M. Herrou et le demandeur d’asile ont ensuite été transférés de lagendarmerie de Breil à la police aux frontières de Menton puis à la caserne depolice Auvare à Nice. Les deux n’ont été libérés qu’aux environs de 16h le 13septembre, après plusieurs interrogatoires et une confrontation.

Cette nouvelle procédure fait suiteà une plainte déposée par un trafiquant d’êtres humains dénoncé parM. Herrou fin juillet et condamné en comparution immédiate à huit mois deprison ferme. Fin juillet, M. Herrou avait découvert un passeur parmi lespersonnes qu’il hébergeait et qui avait reconnu les faits. M. Herrou etson équipe avaient alors contacté la gendarmerie vers 11h du matin. Enattendant l’arrivée de cette dernière, M. Herrou et ses bénévoles se sontrelayés sur le canapé à côté du passeur pour éviter qu’il ne s’échappe. Pendantcette attente, il a pu avoir de l’eau, le droit d’aller aux toilettes, et desrepas. Vers 19h, alors que la gendarmerie ne s’était toujours pas déplacée,M. Herrou et son équipe l’avaient conduit à la gendarmerie, où il a étéarrêté. Aucune violence n’a été exercée contre le passeur. Le demandeur d’asileplacé en garde à vue le 12 septembre en compagnie de M. Cédric Herrouavait également participé à son arrestation par la police.

En plus de ce harcèlementjudiciaire, il est important de préciser que plusieurs gendarmes sont postésdans la montagne autour du domicile de M. Cédric Herrou et les bénévolesqui travaillent chez Cédric Herrou en faveur des droits des migrants sont trèssouvent contrôlés par la police, au même titre que toute personne qui descendde chez lui. Des actes d’intimidation et des insultes de la part de membres desforces de l’ordre visant M. Herrou, son avocat et des bénévoles quitravaillent avec lui auraient également été rapportés. M. Herrou reçoitégalement de nombreuses menaces et insultes par courrier et sur les réseauxsociaux.

Pierre Alain Mannoni :


M. Pierre-Alain Mannoniest ingénieur à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, engagé dans la défensedes droits des personnes migrantes et réfugiées notamment dans la vallée de laRoya, région des Alpes Maritimes qui borde la frontière italienne.

Depuis près d'un an, M. Pierre-Alain Mannoni fait l’objet d’un harcèlement judiciairesuite à son interpellation le 18 octobre 2016 par la gendarmerie de Grassealors qu’il transportait dans son véhicule trois jeunes femmes d’origineérythréenne, dont une mineure. Celui-ci les avait pris en charge à Saint-Dalmas-de-Tende,alors qu’elles se trouvaient dans un bâtiment abandonné, investi par uncollectif d’associations. Face à leur situation de dénuement, M. Pierre-AlainMannoni les avait accueillies à son domicile, avant de les conduire à une gare.

Pierre-Alain Mannoni a alors été poursuivi pour violation del’article L.622-1 du Ceseda, avant d’être relaxé par le Tribunal correctionnelde Nice, concluant à son immunité pénale, l’assistance en question n’ayantdonné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte. Le procureur a ensuitefait appel de la décision.

Le 11 septembre 2017, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné M.Pierre Alain Mannoni à deux mois de prison avec sursis pour violation del’article L. 622-1 du Ceseda.

Raphael Faye Prio :

M. Raphael Faye Prio est un étudiant de19 ans dont les parents sont membres de la Roya Citoyenne.

Le 25 juin 2017, il est interpellé par lapolice alors qu’il transportait quatre personnes en situation irrégulière. Cejour-là, M. Raphael Faye Prio avait appris que ces quatre personnes setrouvaient à la gare de Saorge, sans abri pour la nuit. Il avait alors décidéde les transporter jusqu’au domicile de M. Cédric Herrou, à une dizaine dekilomètres, pour y passer la nuit.

En route, M. Raphael Faye Prio est interpelléà un barrage de gendarmes mobiles à Breuil et gardé à vue jusqu’au lendemainpour pour violation de l’article L.622-1 du Ceseda.

Le 2 octobre 2017, le Tribunal de grandeinstance de Nice a condamné M. Raphael Faye Prio à trois mois de prison avecsursis pour violation de l’article L.622-1 du Ceseda.

Lors de son procès, M. Raphael Faye Prio aprécisé qu’il « voulait mettre à l’abri [ces personnes] chez Cédric Herrouqui avait un protocole avec les gendarmes pour leur permettre de faire unedemande d’asile ».

M. RaphaelFaye Prio prévoit de faire appel de la décision.

Recommandations :

Nos organisations appellent les autoritésfrançaises à :

i. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, ycompris judiciaire, à l’encontre de MM. Cédric Herrou, Pierre Alain Mannoni,Raphael Faye Prio, ainsi que l’ensemble des défenseurs des droits humains etparticulièrement des droits des personnes migrantes et réfugiées enFrance ;

ii. Garantir une protection efficace contre lespoursuites visant des actions « humanitaires et désintéressés » enamendant les dispositions de l’article L.622-4 du Ceseda ;

iii. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseursdes droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9décembre 1998, et plus particulièrement à ses articles 1 et 12.2 ;

iv. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclarationuniverselle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationauxrelatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la France.

L’Observatoire, partenariat de la FIDH et de l’Organisationmondiale contre la torture (OMCT), a vocation à protéger les défenseurs desdroits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussiconcrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu,le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits de l’Hommemis en œuvre par la société civile internationale.

Créée en 1898 à l’occasion de l’affaire Dreyfus, la Liguedes Droits de l'Homme (LDH) s’est donnée pour objectif de défendre toutepersonne ou groupe de personnes victimes d’injustice ou d’atteintes à leursdroits. Association laïque, généraliste et politique, quoique non partisane,elle entend lutter contre les atteintes aux droits de l’individu, dans tous lesdomaines de la vie civique, politique et sociale. Elle veut aussi promouvoir lacitoyenneté politique et sociale de tous et garantir l’exercice entier de ladémocratie. C’est en ce sens qu’agissent ses 9 500 adhérents, dans plus de 300sections en France.


[1] Cf. dossier web du Groupe d'information et de soutien des immigrées (GISTI) surla recrudescence du délit de solidarité :http://www.gisti.org/spip.php?article5179

[2] Cf. l’avis n°0131 du 4 juin 2017 de la CNCDH, Avis : mettre fin au délit desolidarité, disponible surhttps://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000034851164 @font-face { font-family: "Arial";}@font-face { font-family: "Cambria Math";}@font-face { font-family: "DejaVu Sans";}p.MsoNormal, li.MsoNormal, div.MsoNormal { margin: 0cm 0cm 0.0001pt; font-size: 10pt; font-family: "Times New Roman"; }p.MsoFootnoteText, li.MsoFootnoteText, div.MsoFootnoteText { margin: 0cm 0cm 0.0001pt 16.95pt; text-indent: -16.95pt; font-size: 10pt; font-family: "Times New Roman"; }p.MsoFooter, li.MsoFooter, div.MsoFooter { margin: 0cm 0cm 0.0001pt; font-size: 10pt; font-family: "Times New Roman"; }p.MsoBodyText, li.MsoBodyText, div.MsoBodyText { margin: 0cm 0cm 7pt; line-height: 120%; font-size: 10pt; font-family: "Times New Roman"; }a:visited, span.MsoHyperlinkFollowed { color: rgb(149, 79, 114); text-decoration: underline; }span.Caractresdenotedebasdepage { }span.Appelnotedebasdep4 { vertical-align: super; }span.CorpsdetexteCar { }p.Contenudetableau, li.Contenudetableau, div.Contenudetableau { margin: 0cm 0cm 0.0001pt; font-size: 10pt; font-family: "Times New Roman"; }span.NotedebasdepageCar { }span.PieddepageCar { }.MsoChpDefault { font-size: 10pt; }div.WordSection1 { }ol { margin-bottom: 0cm; }ul { margin-bottom: 0cm; }