République démocratique du Congo
05.03.10
Interventions urgentes

Condamnation à mort de M. Firmin Yangambi

COD 002 / 0110 / OBS 011.1
Condamnation à la peine de mort / Harcèlement judiciaire / Torture et mauvais traitements

République démocratique du Congo

5 mars 2010

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations et vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en République démocratique du Congo (RDC).

Nouvelles informations :

L'Observatoire a été informé de sources fiables de la condamnation de M. Firmin Yangambi avocat membre du Conseil de l’ordre du Barreau de Kisangani et président de l'ONG d'appui aux victimes de la guerre « Paix sur terre ».

Selon les informations reçues, le 3 mars 2010, M. Firmin Yangambi, arbitrairement détenu depuis le 27 septembre 2009, a été condamné à mort par la Cour militaire de Kinshasa/Gombe pour détention illégale d’armes de guerre[1] et tentative d'organisation d'un mouvement insurrectionnel[2]. L'Observatoire a également été informé de la condamnation à perpétuité du Colonel Elia Lokundo, et de la condamnation à 20 ans de prison ferme de M. Eric Kikunda et de M. Benjamin Olangi pour complicité dans la même affaire (cf. rappel des faits).

Suite au prononcé de la décision de condamnation, MM. Yangambi, Lokundo, Kikunda et Olangi ont été brutalement ligotés par les militaires qui assurent la discipline dans la salle d'audience, et reconduits au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK), où ils se trouvent toujours détenus à la date de diffusion de cet appel urgent. Les avocats de M. Yangambi ont immédiatement interjeté un appel. Au 5 mars 2010, la Cour n'a pas défini la date de l'audience.

Les avocats de la défense ont dénoncé les nombreuses irrégularités commises durant le procès de M. Firmin Yangambi, contraires aux normes internationales. Les exceptions préliminaires soulevées par la défense, comme l'irrégularité de la composition de la Cour[3], ont été rejetées, tandis que toutes celles présentées par le Ministère public ont été acceptées. En outre, la défense a dénoncé le caractère disproportionné de cette décision notamment au regard du manque de preuves. En effet, la Cour s'est principalement fondée sur les procès verbaux des Officiers de la Police Judiciaire (OPJ), relatifs aux déclarations des prévenus formulées sans la présence de leurs avocats et manifestement obtenues suite à des actes de torture.

L’Observatoire dénonce cette condamnation inique de M. Firmin Yangambi, qui semble n’avoir pour seul but que de sanctionner ses activités de défense des droits de l’Homme, et demande son annulation immédiate, ainsi que l'abandon des poursuites judiciaires à son encontre, et sa libération immédiate et inconditionnelle.

L’Observatoire rappelle que conformément à l’article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants"(…) toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne (peut) être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite". Par conséquent, l’Observatoire demande instamment à ce que la justice congolaise se conforme aux engagements internationaux pris par la RDC, et ne considère pas comme éléments de preuve les "aveux" que M. Firmin Yangambi aurait été contraint de formuler dans les conditions évoquées ci-dessus. L'Observatoire rappelle plus généralement que tout acte de torture ou de mauvais traitements est contraire à la Convention contre la Torture, et passible de poursuites individuelles, et appelle donc les autorités congolaises à agir en conformité avec ladite Convention.

Cette condamnation survient alors que la situation des défenseurs se dégrade en RDC, comme l'ont souligné, entre autres, le rapport de la FIDH publié en juin 2009 sur la situation des droits de l'homme en RDC[4] ainsi que plus récemment la note de l'Observatoire sur la situation des défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels en RDC du 26 octobre 2009. Dans ce contexte, M. Yangambi avait publiquement dénoncé sur de nombreux plateaux télévisés les violations des droits de l'Homme et les atteintes à la démocratie dans le pays.

Rappel des faits :

Le 27 septembre 2009, M. Firmin Yangambi s’était rendu en compagnie de son frère, M. Blaise Yangambi Getumbe, à un rendez vous avec un officier de la Garde républicaine, dans le cadre de l’enquête menée suite à l’enlèvement de deux de ses proches, MM. Benjamin Olangi et Eric Kikunda, le 26 septembre 2009 à Kinshasa. MM. Firmin Yangambi et Blaise Yangambi Getumbe avaient alors été interceptés et conduits à la direction provinciale de l’ANR, où ils ont été détenus au secret, sans avoir accès à un avocat ni à leur famille.

La famille de MM. Firmin Yangambi et Blaise Yangambi Getumbe est restée sans nouvelles de ceux-ci jusqu’à ce que le ministre de la Communication et porte-parole du Gouvernement, M. Mende Omalanga, annonce le 28 septembre 2009 lors d’une conférence de presse l’arrestation le 23 septembre - soit quatre jours avant son arrestation effective - par la justice militaire de M. Firmin Yangambi pour avoir "convoyé une cargaison d’armes dans le but de lancer un nouveau mouvement insurrectionnel contre la RDC à partir de Kisangani". M. Omalanga s’est en outre attaqué aux défenseurs des droits de l’Homme, qu’il a qualifiés de "déstabilisateurs du pouvoir constituant une menace permanente pour les institutions de l’Etat".

Le 30 septembre 2009, entre 10h et 13h30, plusieurs agents de la justice militaire, de la police et de l’ANR mandatés par l’Auditeur supérieur de garnison de Kisangani ont effectué une perquisition au domicile de M. Firmin Yangambi, en présence des avocats du barreau de Kisangani et d’autres témoins indépendants. Selon les informations reçues, aucune preuve de la culpabilité de M. Firmin Yangambi n’a été trouvée.

Le soir même, M. Firmin Yangambi a été transféré au CPRK et M. Blaise Yangambi Getumbe a été libéré.

Le 2 octobre 2009, des militaires se sont à nouveau rendus au domicile de M. Firmin Yangambi et, ont demandé à sa femme de leur remettre son passeport, malgré l’absence d’un mandat à cet effet.

Le 18 novembre 2009, une audience s’est tenue à la Cour militaire de Kinshasa/Gombe contre MM. Yangambi, Olangi, Kikunda et Lokundo.

Le 6 janvier 2010, le ministère public a requis la peine de mort et une peine de 20 ans de prison à l’encontre des quatre prévenus.

M. Eric Kikunda a déclaré avoir fait l’objet d’actes de torture au cours de sa détention, et M. Benjamin Olangi aurait lui aussi été torturé.

M. Yangambi a quant à lui été privé de sommeil, de nourriture et de boisson pendant plusieurs jours, et aurait fait des déclarations dans un contexte de fortes pressions psychologiques, afin que cessent notamment les tortures infligées à ses codétenus.

Par ailleurs, l’Observatoire a été informé de la libération provisoire, le 12 janvier 2010, de M. Olivier Marcel Amisi Madjuto, chargé des relations publiques de « Paix sur terre », suite à une décision de la Chambre du Conseil de la haute Cour militaire de Kinshasa. Au cours de l’audience, aucune raison justifiant sa détention dont il a fait l’objet ces trois derniers mois n’a été avancée. M. Amisi Madjuto était détenu au sein des locaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR) de Kinshasa depuis le 16 octobre 2009, suite à son enlèvement par des agents de l’ANR devant une discothèque de la commune de Makiso, à Kisangani. Son lieu de détention était longtemps resté inconnu.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités congolaises en leur demandant de :

  1. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de MM. Firmin Yangambi et Olivier Marcel Amisi Madjuto, ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en République démocratique du Congo ;
  2. Procéder à l'annulation immédiate de la condamnation à mort de M. Firmin Yangambi, ainsi qu'à sa libération immédiate et inconditionnelle, comme à celle de tous les défenseurs arbitrairement détenus en RDC ;
  3. Mener sans délai une enquête indépendante, effective, impartiale et transparente sur les actes de torture et de mauvais traitements mentionnés ci-dessus et en rendre les résultats publics, ce afin d’identifier les responsables, de les traduire devant un tribunal garantissant un procès équitable conformément aux principes de droit international et d’appliquer les sanctions prévues par la loi ;
  4. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris judiciaire, à l’encontre de M. Firmin Yangambi ainsi qu’à celle de tous les défenseurs des droits de l’Homme en RDC, afin qu’ils puissent exercer leur profession et mener leur activité de défense des droits de l’Homme librement et sans entrave ;
  5. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement à son article 1 qui stipule que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales aux niveaux national et international” et son article 12.2 qui prévoit que “l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration” ;
  6. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la RDC.

Adresses

  • S.E M. Joseph Kabila, Président de la République, Cabinet du Président de la République, Palais de la Nation, Kinshasa/Gombe, République Démocratique du Congo, Fax +243 88 02 120
  • M. Alexis Thambwe Mwamba, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale, Cabinet du Ministre, bâtiment du Ministère des Affaires Etrangères, Kinshasa/Gombe, République Démocratique du Congo
  • M. Luzolo Bambi, Ministre de la Justice et des Droits Humains, Ministère de la Justice et Garde des Sceaux, BP 3137, Kinshasa Gombé, République Démocratique du Congo, Fax : + 243 88 05 521
  • Mission permanente de la République démocratique du Congo auprès des Nations unies, Avenue de Budé 18, 1202 Genève, Suisse, Email : missionrdc@bluewin.ch, Fax : +41 22 740.16.82

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de RDC dans vos pays respectifs.

Paris-Genève, le 5 mars 2010

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, programme de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. L’Observatoire a été lauréat 1998 du prix des Droits de l’Homme de la République Française.

Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence :
E-mail : Appeals@fidh-omct.org
Tel et fax FIDH : 33 1 43 55 25 18 / 33 1 43 55 18 80

Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / 41 22 809 49 29

[1] Sur la base de l'article 21 du Code pénal ordinaire Livre I.

[2] Sur la base des articles 4 et 5 ainsi que 136 à 139 du Code pénal militaire.

[3] Selon la défense, les trois magistrats qui composaient le tribunal ainsi que le magistrat poursuivant du parquet militaire n'auraient pas renouvelé leur serment suite à leur nomination à leurs nouvelles fonctions, comme prévu par la loi.

[4] Cf. Rapport international d'enquête de la FIDH en République Démocratique du Congo, La dérive autoritaire du régime, 24 juillet 2009.