République démocratique du Congo
27.06.00
Interventions urgentes

RDCongo: libération

LETTRE OUVERTE A M. JOSEPH KABILA
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

Paris-Genève, le 14 août 2002

Monsieur le Président de la République,

Dans le cadre de leur programme conjoint de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) et l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), tiennent à exprimer leur plus vive préoccupation quant au déroulement et aux résultats de la réunion de concertation, qui s'est tenue samedi 10 août 2002, au siège de la Cour d'Ordre Militaire (COM) à Kinshasa, entre les représentants de 11 organisations non-gouvernementales de défense des droits de l'Homme et le Procureur général de la COM, M. Charles Alamba Mungako.

Cette réunion, convoquée par M. Alamba Mungako, faisait suite à la vaste campagne d'information et de mobilisation initiée par plusieurs ONG de défense des droits de l'Homme congolaises, pour la libération de deux militants des droits de l'Homme arbitrairement détenus : M. N'sii Luanda Shandwe, Président du Comité des observateurs des droits de l'Homme, et Me Willy Wenga Ilombe, avocat, membre du Centre africain pour la paix, la démocratie et les droits de l'Homme (ACPD), arrêtés respectivement les 19 avril et 20 février 2002. Ils sont toujours détenus au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK), au motif qu'ils auraient été en contact avec des personnes suspectées d'atteinte à la sûreté de l'Etat.

Selon les informations reçues par La Voix des Sans Voix (ONG de défense des droits de l'Homme), cette réunion que nous espérions inscrite sous le signe du dialogue et de la concertation s'est avérée être une séance de mise en garde et d'intimidation à l'égard des 11 ONG présentes.

En effet, le Procureur général de la COM aurait estimé que la défense des droits de l'Homme était l'apanage de la COM, " véritable Voix des Sans-Voix " (par référence à l'ONG du même nom), tandis que les défenseurs des droits humains en RDC ne ferait que défendre les criminels et délinquants.

Il aurait également affiché sa volonté de réprimer et sanctionner toute tentative par les ONG d'organiser des sit-in, marches ou autres manifestations pacifiques en faveur de la libération des deux activistes défenseurs détenus.

Le premier substitut du Procureur, M. Sébastien Tsinu Phukuta, aurait par ailleurs estimé que la signature par les ONG d'un mémorandum adressé au Chef de l'Etat en faveur de M. N'Sii Luanda Shandwe et de Me Willy Wenga Ilombe et sa publication dans la presse constituent des actes attentatoires à la sécurité intérieure de l'Etat, une connivence avec l'ennemi et sont constitutifs, conformément à l'article 138, point 3 du Livre II du code pénal ordinaire, de trahison punissable de mort.

Monsieur le Président de la République,

L'Observatoire exprime sa profonde consternation face aux menaces et propos diffamatoires exprimés lors de cette réunion par M. Charles Alamba Mungako et par M. Sébastien Tsinu Phukuta à l'encontre des ONG de défense des droits de l'Homme. Ces propos visent délibérément à discréditer le travail de ces dernières et à assimiler leurs activités à des actions criminelles attentatoires à la sécurité du pays, devant être sévèrement réprimées. Cette attitude participe manifestement d'une volonté politique de faire taire toute forme de contestation.

L'Observatoire note que malgré les menaces proférées à l'encontre des ONG durant cette réunion, le colonel Tsinu Phukuta s'est engagé à examiner, conformément à la procédure, la requête des défenseurs des droits de l'Homme et des avocats de la défense, pour la libération provisoire des deux activistes.

L'Observatoire vous prie de veiller à ce que ces engagements soient dûment respectés, et ce dans les plus brefs délais. L'Observatoire vous demande également de veiller à ce qu'un terme soit mis à toute forme de menace et de diffamation à l'encontre des défenseurs des droits de l'Homme.

L'Observatoire prie enfin les plus hautes autorités congolaises de se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'Homme adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, notamment à son article 1 qui dispose que " chacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international ".

Espérant que vous donnerez une suite positive aux présentes requêtes, nous vous prions, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir agréer l'expression de notre haute considération.


Sidiki KABA Eric SOTTAS
Président de la FIDH Directeur de l'OMCT