République démocratique du Congo
20.12.00
Interventions urgentes

RDCongo: Arrestation arbitraire

LETTRE OUVERTE A M. JOSEPH KABILA
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
DEMOCRATIQUE DU CONGO


Paris-Genève, le 8 janvier 2003


Monsieur le Président de la République

Dans le cadre de leur programme conjoint de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'Homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) et l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), expriment leur plus vive préoccupation à propos de la situation de M. Floribert Chebeya Bahizire, président de l'ONG indépendante de défense des droits de l'Homme, la Voix des Sans Voix, contraint de vivre dans la clandestinité depuis le 26 décembre 2002.

Selon les informations reçues, la Voix des Sans Voix a reçu successivement deux convocations à l'intention de M. Chebeya, les 23 et 26 décembre 2002, lui demandant de se présenter au cabinet du Procureur Général auprès de la Cour d'Ordre Militaire (COM), le colonel Charles Alamba Mungako. Deux représentants de la Voix des Sans Voix ont répondu à ces convocations pour s’enquérir de la situation. Toutefois, le substitut du Procureur leur a signifié qu'il avait pour ordre de recevoir M. Chebeya uniquement.

Ces convocations semblent liées aux déclarations du président de la Voix des Sans Voix, en date du 19 décembre 2002, sur la chaîne de télévision privée RAGA et les ondes de la Voix de l’Amérique, demandant que la lumière soit faite sur l'exécution du commandant Anselme Masasu Nindaga et sur l'assassinat du Président Laurent Désiré Kabila, et que la justice s’opère en toute indépendance dans ces affaires.

En date du 31 décembre 2002, le gouvernement aurait par ailleurs tenu un conseil des ministres restreint autour de l’interview que M. Floribert Chebeya Bahizire a accordée le 27 décembre 2002 à la radio télévision belge de la communauté française (RTBF) et la télévision TV5, sur le procès de Laurent Désiré Kabila qu’il a qualifié d’une mascarade visant à éliminer les témoins gênants. L’interview faisait suite au sit-in que la VSV a organisé le 26 décembre 2002 devant le ministère de la Défense nationale à Kinshasa/Gombe pour protester contre le déroulement de ce procès.

Le 6 janvier 2003, en raison des fortes menaces d'arrestation pesant sur M. Chebeya, la Voix des Sans Voix a fermé ses bureaux.

En raison du contexte prévalant en RDC, l'Observatoire a toutes les raisons de craindre pour la sécurité et la vie de M. Chebeya, d’autant que celui-ci a déjà fait l’objet de plusieurs menaces verbales de la part de hauts représentants de la COM.

L'Observatoire rappelle notamment que deux défenseurs des droits de l'Homme se trouvent toujours en détention depuis plusieurs mois sur ordre de la COM, à savoir M. N'Sii Luanda Shandwe, président du Comité des observateurs des droits de l'Homme, et Me Willy Wenga Ilombe, avocat, membre du Centre africain pour la paix, la démocratie et les droits de l'Homme. Tous deux sont accusés d'être en contact avec des personnes suspectées d'atteinte à la sécurité de l'Etat dans le cadre de l'affaire de l’assassinat de Laurent Désiré Kabila. Par ailleurs, Me Sébastien Kayembe Nkokesha, président du Conseil d’administration de l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH), et avocat de plusieurs personnes poursuivies dans le cadre de la même affaire, a dû partir à l'étranger pour recevoir des soins, à la suite des tortures qu'il a subies, après avoir été enlevé par des agents de la Garde spéciale de la sécurité présidentielle (GSSP), le 15 octobre 2002.

L’Observatoire rappelle que ces faits, ainsi que les menaces pesant sur M. Chebeya, s’inscrivent en flagrante violation de la 9 décembre 1998, qui dispose notamment en son article 6b que «chacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres, conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l'Homme et autres instruments internationaux applicables, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l'Homme et toutes les libertés fondamentales».

Monsieur le Président de la République,

L'Observatoire vous prie de d’adopter d’urgence toutes les mesures nécessaires, afin de garantir la sécurité et la vie de M. Chebeya, et de veiller à ce qu’il puisse reprendre ses activités, ainsi que son organisation, en toute liberté. L'Observatoire vous prie également de veiller à ce qu'un terme soit mis à toute forme de menace et de diffamation à l'encontre des défenseurs des droits de l'Homme.

L'Observatoire prie enfin les plus hautes autorités congolaises de se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'Homme, notamment à son article 1er qui dispose que «chacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l'Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international» et à son article 6b précité.

Espérant que vous donnerez une suite positive à la présente requête, nous vous prions, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir agréer l'expression de notre plus haute considération.