Capture décran 2022 04 26 à 17 46 23
Rapport annuel 2021
13

Le message de notre présidente

Piliers d’un monde fragile

Hina Jilani - Présidente de l'OMCT

Nous sommes des militant·e·s des droits humains, des personnes convaincues que les lois sont là pour défendre les droits fondamentaux de tous les êtres humains. Aujourd’hui, nous sommes effarés à la vue de millions de vies bouleversées par l’invasion russe en Ukraine, alors que le Conseil de sécurité des Nations unies ne parvient pas à faire respecter les règles juridiques qui gouvernent les relations entre les pays. Notre monde est fragile. L’irruption soudaine de la guerre en Europe, qui était, malgré l’éclatement violent de la Yougoslavie, le continent le plus pacifique au cours de ces dernières décennies, met tous nos systèmes à rude épreuve.

L'espoir d’un avenir meilleur s’est effondré, et pas seulement en Ukraine. Au fur et à mesure que les révolutions échouaient dans les autres pays de la région, la Tunisie, berceau du Printemps arabe, en était aussi devenue le porte-drapeau. L’année dernière pourtant, la promesse de démocratie s’est effondrée lorsque le président du pays s’est emparé de tous les leviers du pouvoir.

Les routes de la torture en Afrique

La torture et l’impunité constituent deux des principaux ingrédients de toutes ces crises. Alors que les garanties de nos droits humains les plus fondamentaux sont démantelées, des hommes, des femmes et des enfants sont victimes d’abus. Ils sont tués. Et leurs bourreaux restent impunis. Ils sont même parfois récompensés pour leurs crimes.

Ce rapport annuel montre à quel point la torture reste centrale, partout. Elle est parfois visible, comme dans le conflit armé en Ukraine ou dans nos rues, où les brutalités policières continuent d’augmenter, y compris dans les pays démocratiques.

Mais elle reste la plupart du temps cachée, comme dans les prisons où la pandémie du Covid-19 a aggravé les conditions de détention. Il en va de même pour la migration. Notre rapport sur les routes de la torture en Afrique, publié en décembre 2021 après deux ans de travaux de recherche avec notre réseau SOS-Torture, expose le rôle central que joue la torture dans le contexte de la migration : elle est à la fois une cause profonde qui pousse ces personnes à fuir leur pays, et une conséquence des politiques qui privilégient la sécurité sur les droits humains.

Certains États, qui ne parlent que de trafic, de traite et de sécurité aux frontières, ne se contentent pas d’ignorer cette dimension de la torture. Leurs politiques renforcent également les mécanismes pervers qui mènent à la torture des migrants hautement vulnérables. Pour trouver des solutions, il convient d’abord de reconnaitre ces problématiques. Nous continuerons à plaider en faveur de l’adoption de politiques plus humaines, notamment pour l’ouverture de couloirs de migration réglementés.

Une créativité sans fin

En parlant de solutions, les États devraient s’inspirer de la créativité sans fin et de la détermination à toute épreuve des membres de notre réseau et de nos collègues, mis en avant lors de notre Semaine mondiale contre la torture, en mars, qui a réuni plus de 700 participants issus de l’ensemble de notre réseau SOS-Torture. J’ai été inspirée par les récits de résilience, la capacité à innover et l’incroyable sens de l’intérêt commun qui s’est dégagé de chaque réunion.

Ce rapport raconte comment des militant·e·s d’Inde, de Colombie, du Mexique et du Togo (et la liste ne s’arrête pas là) sont parvenus à améliorer les conditions de détention d’enfants et à faire libérer des détenu·e·s vulnérables au plus fort de la pandémie, grâce à la création d’un logiciel à la portée de tous, par exemple.

Ensemble, nous avons remporté plusieurs victoires juridiques : sur la question des droits reproductifs au Salvador, par exemple, ou encore en mettant un terme à la peine capitale pour les personnes atteintes de maladies mentales dans mon propre pays, le Pakistan, alors que des États et des individus ont été condamnés pour des actes de torture en Afrique et en Amérique latine. Avec le procureur général allemand, nous avons déposé une plainte pour crimes contre l’humanité contre le Bélarus , et continuerons à documenter les crimes commis en Ukraine et ailleurs. Parce que les coupables doivent rendre compte de leurs actes.

Notre équipe de Tunisie continue à aider les victimes de la torture, notamment dans leur quête de justice. Nous soutenons les courageux·ses défenseur·e·s qui sont menacé·e·s et emprisonné·e·s dans le monde, pour le simple fait de lutter pour la protection des droits humains de tous·tes. L’année dernière, nos travail a inclus aussi bien le transfert en lieu sûr de militants afghans et de leurs familles après la prise du pouvoir par les Talibans que les activités de plaidoyer pour défendre les droits des migrant·e·s en danger en Europe, où une majorité de pays ont criminalisé l’aide aux migrant·e·s dans certaines circonstances.

Aussi fragiles que nos progrès puissent paraitre actuellement, notre travail reste un pilier essentiel du monde agité dans lequel nous vivons.

Hina Jilani
Présidente de l’OMCT